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Actualité du dopage |
En 1988, Jeannie Longo publie "Du miel dans mon cartable", un livre souvenirs. Elle revient notamment sur son contrôle antidopage positif à l'éphédrine lors d'une tentative de record du monde du trois kilomètres :
Ce jeudi 8 octobre [1987] était, pensais-je, un jour que rien ne distinguerait des autres. (...)
Pour commencer à déjeuner, nous n'attendions plus que Patrice, parti à la poste chercher une lettre recommandée à mon nom. (...)
Je remplissais une carafe d'eau quand mon mari ouvrit la porte avec sa clé.
- Mauvaise nouvelle, Jeannie...
- Quoi?
Sur le pas de la cuisine, il froissait nerveusement la missive à bout de bras.
- Tu as été contrôlée positive après ton record des trois kilomètres à Colorado Springs...
(...)
Il y avait sûrement quelque chose d'anormal qui s'éclaircirait rapidement. Pourquoi paniquer; je savais mon attitude irréprochable à l'égard des produits interdits.
(...)
Dès la course des Herbiers, j'éprouvai l'étrange sensation que les coureurs et organisateurs étaient déjà au courant. Ils me dévisagèrent avec des yeux différents, parfois méfiants ou moqueurs, le plus souvent gênés et interrogateurs. (...)
Confrontée à la longueur de la procédure et au manque de détails, j'appelai Jacques Adnet pour en savoir plus côté américain. Accablé, il me répondit avoir appris ce fâcheux résultat le 22 septembre, jour du record de l'heure et veille de mon départ de Colorado Springs. Le docteur Voïd, chef de la Commission médicale du comité olympique des États-Unis, qu'il connaissait très bien, lui avait avoué que l'analyse avait décelé une quantité infime d'éphédrine.
(...)
Une semaine avant le début des Six Jours de Grenoble, le journaliste d'un nouveau quotidien sportif en mal d'informations sensationnelles pour tenter de détrôner L'Équipe me téléphona. Distraitement, je vérifiai l'heure à mon poignet en décrochant : 20 h 32.
- Il paraît que le contrôle de votre record des trois kilomètres à Colorado Springs est positif. Est-ce vrai?
(...)
- Si vous avez l'impression de détenir un scoop, il ne faut pas hésiter! Mais il n'empêche que si vous divulguez ces cancans, vous êtes des salauds...
A l'issue d'une nuit courte et agitée, je descendis à 7 h 30 acheter le journal. Sur le trottoir, je croisai mon voisin cyclotouriste qui me salua en pinçant les lèvres. Il savait!
Comme je l'avais pressenti, un petit titre à la "une" me concernait : " Jeannie Longo positive ? " Dans un long article en pages intérieures, il était écrit : " Si la contre-expertise confirme l'expertise, cela ne signifie pas en tout état de cause que Longo s'est dopée volontairement, car l'éphédrine se trouve dans de nombreux produits pharmaceutiques très communs. "
Dopée, le vilain mot. Trois kilomètres, Colorado Springs, record de l'heure, quoi de plus évocateur pour le lecteur distrait : Longo... dopée...
(...)
Certains profitèrent évidemment de l'opportunité pour salir mon image et rejeter tout le venin de leurs pensées si longtemps contenu. Le journal L'Équipe ne reçut qu'un appel pour s'étonner qu'aucune allusion ne fût faite à mon affaire. Il s'agissait tout naturellement du mari d'Isabelle Nicoloso, contrôlée positive à l'issue du dernier championnat de France et suspendue six mois...
(...)
Je fouillai soigneusement ma mémoire pour découvrir les produits susceptibles d'avoir entraîné les conclusions du laboratoire. Je n'avais pas eu le moindre rhume à Colorado Springs, aussi pouvais-je écarter la traditionnelle excuse des gouttes dans le nez.
Quand j'eus examiné mes granulés homéopathiques, mes gélules de phytothérapie et les rares médicaments anodins que j'emporte toujours en prévision d'une colique ou d'une grippe, mes doutes se portèrent sur une boîte de gélules, l'Exosuline, et une crème universelle, toutes deux à base de plantes. Le professeur Micoud, président du club de rugby grenoblois et responsable des maladies infectieuses à l'hôpital de l'Isère, accepta d'en réclamer l'analyse détaillée au laboratoire de toxicologie.
Jacques Adnet fut le premier à me téléphoner afin de m'annoncer que la seconde expertise était également positive. Il m'informa que de l'éphédrine et ses dérivés, pseudo-éphédrine et non-éphédrine, avaient été décelés à l'échelle du millionième de gramme par millilitre. (...) Il avait confirmé à Jacques que ma performance n'avait été en aucune façon améliorée par l'absorption de cette plante, le dosage, trop faible, correspondant à la stimulation apportée par une tasse de café ou de thé.
Une telle affirmation me rasséréna et me choqua à la fois. Pourquoi donc avoir donné une telle ampleur à cette affaire, au risque d'entacher ma réputation et de me sanctionner six mois, pour l'équivalent d'un petit noir? C'était un comble de reconnaître le caractère bénin du résultat et parallèlement de tout faire pour propager la découverte d'un soi-disant cas de dopage.
Quelques jours plus tard, je reçus l'analyse quantitative envoyée par Jacques à titre officieux. Après examen des dates, je constatai que le premier contrôle avait eu lieu le 18 septembre et l'analyse quantitative cinq jours plus tard, avant même ma requête de contre-expertise et la demande d'homologation de record, expédiée le 25 par les Américains à la Fédération internationale! La contre-expertise aurait été effectuée le 23, soit deux semaines avant ma connaissance du dossier?
J'apprenais avec soulagement que le record des cinq kilomètres, tenté quatre jours après celui incriminé, et celui de l'heure, réussi dix jours plus tard, avaient fait l'objet d'un contrôle négatif.
Alors que je travaillais à la mairie sur l'étude d'un projet sportif, le professeur Micoud passa m'apporter les conclusions des recherches entreprises par son laboratoire : la pommade était innocente, mais les gélules d'éphédra contenaient effectivement 1,5 % d'éphédrine. Il m'avoua que je ne pouvais pas le savoir, puisque l'emballage de ce produit en vente libre, classé en diététique, ne le précisait pas.