Actualité du dopage

L'Acheteur Cycliste donne la parole à Ricco !


23/04/2012 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Après avoir donné la parole à Christophe Bassons dans un précédent numéro, l'Acheteur Cycliste de mars 2012 (n°90) donne cette fois-ci la parole à Riccardo Ricco, dont le profil bedonnant en 1ère de couverture (!) révèle un début d'embonpoint. Richard Jamin, rédacteur en chef, a pris là un gros risque (et peut être fait un mauvais choix), à un point tel qu'il se demande lui-même dans l'éditorial si c'était une bonne idée. D'après lui, Ricco n'aurait pas eu un traitement identique aux autres coureurs dopés, à cause des enjeux financiers de la mondialisation du cyclisme. Bref, Ricco, pauvre victime, se serait trouvé là au mauvais moment, et les instances antidopage se seraient acharnées contre lui et sa petite équipe alors que les gros poissons ne seraient jamais inquiétés. Rappelons que Ricco fut positif à la CERA au Tour de France 2008. En coopérant avec la justice, sa suspension de 2 ans fut réduite de 4 mois et il effectua son retour en mars2010. Durant cette période, sa compagne Vania se trouve également positive à la CERA alors qu'elle allaite ; elle sera sauvée par un échantillon B négatif. Ricco s'était engagé avec le Pr Aldo Sassi, décédé en décembre 2010, à ne plus toucher au dopage. Mais en février 2011, il est hospitalisé d'urgence pour insuffisance rénale. Ricco aurait avoué dans un premier temps au médecin de l'hôpital s'être injecté une poche de sang mal conservée dans son réfrigérateur, puis accuse les journalistes d'avoir inventé cette histoire. Il finit par prétendre s'être injecté du fer. Le Tribunal antidopage italien demande une suspension de 12 ans mais nomme trois experts pour tenter d'établir la vérité.

Le ton est donné dès le premier paragraphe de l'article de l'Acheteur Cycliste : avoir pris de la CERA sur le Tour de France n'était pas un acte pire que celui des autres coureurs. D'après Ricco, 50 cyclistes étaient dans son cas mais 5 seront contrôlés positifs dont 2 français. Persécuté par les instances antidopage (la théorie paranoïaque du complot est omniprésente) seul son cas sera connu du public. Il oublie un peu rapidement de citer Stefan Schumacher et Bernard Kohl. Il révèle avoir un hématocrite naturellement supérieur à 50%. Cette limite fut décidée par l'UCI en 1997 et abandonnée en 2008 à l'avènement du passeport sanguin. Son taux de 53% fut accepté par l'UCI en 2006 à son arrivée chez Saunier-Duval. D'après lui, il ne faut pas chercher plus loin la cause de tous ses ennuis (il fut déjà suspendu à 18 ans). En tant que champion, il se situe au-delà des normes, tel Armstrong, Pantani, Contador et " allez expliquer cela à des gens qui vous condamnent sans savoir ni comprendre ! ". Bizarrement plus loin dans le texte, il insiste sur le fait qu'il n'est pas doué " au point d'exploser n'importe qui après 5 cols par 35°C et 10 jours de course ". C'est pour mieux faire admettre " qu'il faut être préparé et soutenu biologiquement pour gagner un grand tour, mais pas dopé ". Pour le Cobra, se soigner permet de récupérer plus vite et de continuer à faire le métier de coureur cycliste. Richard Jamin n'a pas cherché plus de précisions mais on pourrait facilement imaginer que Ricco considère l'EPO comme un " soin ". L'article reste ambigu sur la notion de soins ; c'est le flou complet et Jamin apporte de l'eau (!) au moulin de Ricco en citant les paroles de Christophe Bassons qui admettait mettre son organisme en danger en refusant toute piqure. On retrouve ici la conclusion de l'étude de Christophe Brissonneau (1) : le dopage normalement considéré comme une atteinte à la santé, constituerait une solution thérapeutique pour l'exercice du métier de coureur cycliste.

On s'aperçoit que Ricco, dans sa rationalisation du dopage, a éliminé l'idée de triche et d'amélioration des performances. Il trouve une légitimité au concept de soins sur lequel on aurait aimé que l'interview de Richard Jamin fournisse des précisions. Présenter Riccardo Ricco comme une victime, passe encore, mais on a l'impression d'être revenu 40 ans en arrière en lisant cette interview. Mais quelle mouche a donc piqué l'Acheteur Cycliste pour nous présenter une vision surannée du cyclisme, celle de l'époque de Merckx ou Anquetil ? Alors pourquoi ne pas donner la nôtre sur Ricco : prisonnier d'un hématocrite artificiel à 53% depuis ses années de junior, celui-ci serait dans l'obligation de s'autotransfuser régulièrement pour se maintenir autour de cette valeur. En tout cas, si Ricco cherchait une réhabilitation, c'est raté !

La nouvelle histoire de Ricco : sa " vérité " sur le fer

L'hypothèse de la transfusion contaminée est fausse prétend Ricco. Il s'injectait du fer trois fois par semaine. Une aiguille mal stérilisée (par lui ?) serait à l'origine de l'infection qui l'a conduit à l'hôpital. Puis, comble de malchance, l'italien aurait été victime d'une infection nosocomiale à son entrée dans l'établissement. Deux infections coup sur coup ! Infiniment impossible ! Une infection nosocomiale ne peut survenir qu'après une intervention chirurgicale et ne peut se déclarer avec la pose d'un cathéter ou à la suite d'un abord veineux. Or Ricco n'a pas été opéré, il a subi des perfusions d'antibiotiques. Mais jamais il n'a fait de confidence à un médecin sur une transfusion ratée. (Il est bizarre que Ricco stérilise lui-même ses aiguilles et seringues comme en 1940 car ce matériel existe depuis longtemps en conditionnement unitaire stérile).

Les documents officiels de l'UCI (attestant d'un hématocrite naturel à 53%) et de l'hôpital de Modène (admettant que son hospitalisation faisait suite à une injection de fer) n'ont pas pu être transmis par Ricco qui fournit comme raison l'attente de l'avis de la Commission antidopage du CONI. Malgré l'encadré de " dernière minute " laissant entendre que Ricco pourrait recourir sous peu, la suspension de 12 ans est tombée le 19 avril 2012. Attendons le nouvel épisode Ricco pour ses 40 ans !


(1) Analyse psychologique et sociologique du dopage. Rationalisation du discours, du mode de vie et de l'entraînement sportif. Christophe Brissonneau, Karine Bui-Xuan Piccheda. Cairn.info revue Staps 2005 ; n° 70.


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


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Cette page a été mise en ligne le 23/04/2012