Actualité du dopage

«Tom Simpson pèse sur la mémoire du Tour de France comme une grosse pierre»

13/07/2017 - liberation.fr - Pierre Carrey


Ce jeudi, on commémore le cinquantième anniversaire de la mort du cycliste britannique au Mont Ventoux. Les organisateurs, gênés par les effluves de dopage, lui rendront un hommage très discret.

«Tom Simpson est mort un vendredi 13. En début d'étape, ce jour-là, un chien a traversé la route, un coureur italien est tombé et il s'est cassé le bras. Je pensais que nous avions payé le tribut de ce vendredi 13 mais, non, ce n'était pas assez : Simpson est mort l'après-midi au Mont Ventoux.» Gianni Mura, le doyen des journalistes sur le Tour de France garde un tableau encore très frais de ce funeste vendredi 13 juillet 1967. Il a 22 ans, travaille pour la Gazzetta dello Sport. C'était son premier Tour. «Le soir, nous écrivions nos papiers dans une église consacrée, à Carpentras, raconte-t-il. Félix Lévitan [co-organisateur] est entré et, comme il n'avait pas une grande stature, il s'est mis debout sur une chaise. Il a dit : "Messieurs, je vous en prie..." On a compris que Simpson était mort.» Le coureur britannique s'est effondré à deux kilomètres et demi du sommet, dans cette montagne de Provence, entre les rocailles, décor de mort. Il est transporté inconscient à l'hôpital d'Avignon. Le décès est constaté par les médecins à 17h40.

«Plusieurs journalistes se sont mis à pleurer, car on adorait tous Tom, poursuit Mura. Le matin, il avait trempé sa casquette dans de l'eau Vittel et il avait aspergé ses congénères, au départ de Marseille : "Je vous bénis, coureurs qui affronterez le Mont Ventoux !" Il était toujours joyeux. J'ai pleuré aussi.»

Le dopage, sujet tabou

A la veille du cinquantième anniversaire de cette tragédie, Gianni Mura s'ennuie sur le Tour de France à Pau. Il écrit des cartes postales pour ses amis alors que Marcel Kittel va remporter un nouveau succès. Il sort fumer une cigarette sur le perron. Silhouette en cercle, forte barbe. Le doyen des reporters vélos utilisait encore une machine à écrire il y a un an ou deux. Il soupire : «Simpson...» Il a le regard rouge.

On lui dit que l'organisation ne rendra aucun hommage solennel. «C'est normal, répond Mura. Simpson pèse sur la mémoire du Tour comme une grosse pierre. Il est plus facile d'envisager une cérémonie pour [Fabio] Casartelli, un coureur qui s'est brisé le crâne dans une descente [en 1995] que pour un coureur dont la mort est devenue synonyme de dopage». D'autant plus que le sujet redevient tabou, depuis le retour à la compétition de Lance Armstrong en 2009 et 2010, depuis les performances des coureurs français au premier plan...

La «pierre» Simpson a des bords coupants : le champion du monde de 29 ans est officiellement mort d'un «collapsus cardiaque», comme le révéla le médecin du Tour de l'époque. Un cocktail fatal composé de «conditions atmosphériques défavorables» (la canicule), d'un «surmenage intense» (le coureur se battait pour une cinquième place au classement général, ambition hors de sa portée) mais aussi de «l'usage de médicaments du type de ceux découverts sur la victime qui sont des substances dangereuses», toujours selon le médecin, qui cite le rapport d'autopsie.

Dernier hommage en 1987

L'organisateur et la presse de l'époque déplorent à chaud le carnage du «doping». Qui n'est pas la seule cause de la mort, mais qui n'a rien arrangé dans la détresse du coureur, malgré les dénégations de la famille Simpson qui implore de ne pas parler dopage cinquante ans plus tard. «Le rapport d'autopsie a été détruit», avance la fille du cycliste. Son père avait pourtant reconnu carburer aux médicaments quelques années plus tôt. Le poison de cette affaire : les amphétamines, qui donnent un surplus d'énergie et effacent les signes de fatigue.

Il n'y a pas que les héritiers qui s'abîment les doigts avec la légende de Tom Simpson. La Société du Tour de France, devenue Amaury sport organisation (ASO), a cessé tout hommage officiel depuis 1987. Cette année-là, le directeur de l'épreuve, Jacques Goddet, avait déposé une gerbe sur la stèle qui se confond avec les cailloux. Depuis ? Plus rien.

Une commémoration confuse

L'organisation a perdu, il est vrai, le culte de ses défunts. A l'exception de Fabio Casartelli, les autres morts de la course sont eux aussi tombés au rebut : Alphonse Hélière, emporté par une hydrocution à Nice lors dela journée de repos en 1910 ou Francesco Cepeda, tué dans une chute au Galibier en 1935. (...)

Mais le hasard s'en est mêlé : le départ de l'étape ce jeudi à Pau (Pyrénées-Atlantiques) sera donné près d'un «mémorial» qui abrite une stèle pour chaque édition de la course. Un cimetière sans corps, étendu sous le château du roi Henri IV. «Une petite cérémonie est prévue avant le départ devant ces stèles, indique ASO à Libération. L'hommage réunira : Roger Walkowiak, Ferdi Kubler, Stephen Roche, Chris Froome et Roger Pingeon.» Une pagaille dans lequel on retrouve successivement le vainqueur du Tour 1956 et celui de 1950 (tous deux disparus cet hiver), l'Irlandais qui s'est imposé en 1987 et le Britannique lauréat sortant (tous deux bien vivants) et le coureur sacré en 1967, lui aussi décédé récemment. ASO précise : «Pendant l'hommage à Pingeon, on fera aussi quelque chose pour Tom Simpson.» C'est une astuce : le Français avait en effet gagné l'année du drame au Ventoux.

«Ouvrir une discussion sérieuse»

Ce service minimum pour Tom Simpson navre plusieurs journalistes britanniques. William Fotheringham, auteur d'une biographie éclairée sur le sujet (1), regrette dans le Guardian : «Le 50e anniversaire de la mort de Simpson aurait permis deux choses au Tour : célébrer l'un des pionniers du cyclisme anglophone et ouvrir une discussion sérieuse sur la façon dont il traite ceux dont il est avéré qu'ils ont consommé des produits dopants.»

(...)

L'épouse et les descendants de Simpson seront ce jeudi sur la montagne où est mort leur ancêtre. Ils inaugureront un escalier de grès qui mène à la stèle. Ils avaient déjà fait le déplacement au Ventoux mi-juin, accompagnés de Raymond Poulidor et Eddy Merckx. Ces deux anciennes gloires, qui se trouvaient sur place pour parrainer une épreuve cyclosportive belge, ont accepté de revêtir un maillot spécial, brodé au nom du coureur britannique. Le préfet a également assisté à la cérémonie. Mais il n'y avait aucun représentant d'ASO.

«Simpson n'aurait pas dû mourir»

Plus Gianni Mura puise ses souvenirs et plus il se renfrogne. «Ce qui fait le plus mal, c'est que ce garçon n'aurait pas dû mourir. Il aurait pour cela fallu autoriser le ravitaillement des coureurs. Jusqu'alors, les leaders se faisaient donner de l'eau ou autre boisson par leurs équipiers qui s'arrêtaient faire des provisions dans les bars. Ou alors on prenait les bouteilles tendues par les spectateurs - ce qu'a fait Simpson, en buvant de l'alcool. Le règlement a autorisé le ravitaillement depuis les voitures de directeurs sportifs seulement en 1968, après la mort de Simpson.»

Plus qu'un martyr du vélo ou une victime du dopage, «Tommy» serait-il un sacrifié du Tour de France ? Mura le pense : «Voilà ce que donne le Tour et ses règlements. Quand j'ai fait mes débuts sur l'épreuve en 1967, j'étais jeune et assez à gauche. Je me rappelle que j'étais choqué par cette organisation qui ressemblait à une immense caserne...».

Le journaliste italien, aujourd'hui contributeur de la Repubblica, a grandi avec le calvaire de Tom Simpson. «Je lui dois une certaine reconnaissance. Simpson est le premier à m'avoir fait comprendre que le cyclisme, ce n'est pas seulement le 53x12, le fait de lever les bras ou la souffrance. C'est aussi la mort.»

(1) William Fotheringham: Put me back on my bike: In search of Tom Simpson, Yellow Jersey Press, 2002.


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Cette page a été mise en ligne le 17/07/2017