Actualité du dopage

« C'est le fleuron de l'antidopage français » : le laboratoire de Saclay en ordre de marche pour les Jeux de Paris


26/06/2024 - lemonde.fr - Nicolas Lepeltier

« Le Monde » a eu accès au laboratoire qui sera chargé d'analyser la totalité des huit mille échantillons prélevés pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Un défi de taille pour l'établissement, tant en matière de logistique que de crédibilité.

Sur la paillasse, des dizaines d'éprouvettes annotées et étiquetées de couleurs différentes attendent, alignées dans leurs casiers, d'être manipulées. Assise à sa table, une technicienne prépare la mixtion urinaire qui sera injectée pour analyse dans un spectromètre de masse. En face, son collègue renseigne des feuilles noircies de code-barres. Dans la pièce attenante, dite « salle des robots », les appareils d'extraction font entendre un entêtant ronronnement. C'est là, dans un lieu tenu secret sur le campus de l'université Paris-Saclay à Orsay (Essonne), qu'est implanté le Laboratoire antidopage français (LADF), auquel Le Monde a eu accès à l'occasion d'une visite ministérielle.

Pendant les Jeux olympiques (...), le LADF sera chargé d'analyser six mille échantillons urinaires et sanguins – deux mille pendant les Jeux paralympiques (...). Soit l'équivalent de quatre mois d'activité normale. Un tour de force pour les quarante salariés du site, dont une vingtaine de techniciens, qui seront renforcés, le temps des Jeux, par une soixantaine de confrères issus d'autres laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA) (...).

« Le laboratoire de Saclay, c'est le fleuron de l'antidopage français », s'enorgueillissent, le 20 juin, la ministre des sports et des Jeux, Amélie Oudéa-Castéra, et son homologue à l'enseignement supérieur et à la recherche, Sylvie Retailleau. Il a pourtant bien failli ne pas être habilité pour les Jeux, un affront inconcevable pour l'Etat organisateur et le laboratoire qui a inventé le test contre l'érythropoïétine (EPO) au début des années 2000.

Pour garder son rang, la France a dû se mettre en conformité avec le code mondial antidopage. Le laboratoire a été, comme l'impose l'AMA, affranchi juridiquement de l'organisation nationale de contrôle, en l'occurrence l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), par l'ordonnance du 21 avril 2021.

Il lui a surtout fallu démontrer qu'il était apte à traiter le volume d'échantillons requis, pendant les Jeux, par les deux autorités de contrôle : l'International Testing Agency (ITA) – créée en 2018 par le Comité international olympique et chargée du programme antidopage pendant les JO – et le Comité international paralympique – seul responsable pour l'édition paralympique.

Comparaisons d'empreintes génétiques

Or, cela était impossible dans les locaux vétustes et étriqués utilisés jusqu'au printemps 2023 au centre de ressources, d'expertise et de performance sportive d'Ile-de-France à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). C'est ce qui a conduit à un déménagement à Saclay, où, après plusieurs mois de réhabilitation, à peine retardée par le Covid-19, le site est opérationnel depuis la mi-mai 2023. Coût : près de 13 millions d'euros, à la charge de l'Etat.

Les équipes du LADF disposent désormais d'une surface quasiment doublée (2 600 mètres carrés), sur cinq niveaux, et d'équipements de pointe. Pour financer l'acquisition du matériel, le ministère des sports a versé, fin 2022, une rallonge de 8,5 millions d'euros au budget du Comité d'organisation de Paris 2024 (Cojop). A quoi il faut ajouter une dotation, en 2023, de 8 millions d'euros du ministère de l'enseignement supérieur.

La loi olympique du 19 mai 2023 a, par ailleurs, donné au laboratoire la possibilité de procéder, à partir d'échantillons sanguins ou urinaires, à des comparaisons d'empreintes génétiques sur un sportif testé : pour détecter une thérapie génique détournée, d'éventuelles substitutions d'échantillons ou transfusions sanguines, ou pour vérifier s'il produit naturellement beaucoup d'EPO.

(...)

« Double vérification »

Lors de la visite du laboratoire, deux conteneurs frigorifiques, à l'extérieur du bâtiment, attirent l'œil. Pendant les Jeux, les équipes du Cojop y déposeront au fil de la journée les échantillons collectés au village olympique – à partir du 19 juillet, dès l'arrivée des athlètes – et sur la quarantaine de sites de compétition par quelque trois cents préleveurs français et étrangers. Des échantillons seront aussi acheminés en avion depuis Tahiti, où se dérouleront les épreuves de surf. Un test simple coûte en moyenne, du prélèvement jusqu'à l'analyse, environ 300 euros. Une facture réglée par le Cojop.

L'ensemble des prélèvements sera récupéré tôt le matin par les techniciens du laboratoire pour analyse. « A partir de la prise en charge des échantillons, on a un délai contraint de trente-six heures pour délivrer les résultats dans le logiciel Adams de l'AMA, détaille Magali D'Elia, secrétaire générale du LADF. Sur chaque échantillon, un procès-verbal précise le genre de l'athlète, la discipline pratiquée et le type d'analyse que l'on doit effectuer. »

Une première analyse consiste à rechercher dans tous les échantillons urinaires (85 % à 90 % des prélèvements) un maximum de substances interdites. Une seconde, complémentaire, vise, sur demande de l'ITA ou du Comité international paralympique, à rechercher des molécules plus spécifiques – comme l'insuline ou les peptides – au regard des risques liés à la nature du sport ou à l'identité de l'athlète.

Si la première analyse révèle la présence d'un produit dopant, l'échantillon source est de nouveau examiné. Si le résultat est corroboré, « on renvoie vers une autre chaîne analytique », explique Magali D'Elia, sans en dévoiler davantage. Chaque échantillon donnant lieu à un résultat anormal sera ainsi analysé jusqu'à trois reprises avant d'être notifié à l'autorité de contrôle. « Et à chaque étape (préparation, injection, lecture des résultats), il y a une double vérification », ajoute Mme D'Elia. Eliminer le moindre doute : la pire chose pour la renommée d'un laboratoire, comme pour l'athlète, serait de déclarer positif un échantillon qui ne l'est pas.

Multiplier les clients étrangers

Pour prévenir toute fuite de donnée, cyberattaque ou acte de malveillance, le laboratoire de Saclay et les pouvoirs publics s'entourent de précautions. La menace, russe notamment, n'est pas un fantasme : un sportif de nationalité étrangère a tenté de s'introduire dans le système informatique du laboratoire quand il était encore rattaché à l'AFLD. Impossible donc de donner sa localisation exacte comme, par exemple, la marque des appareils utilisés – par peur du piratage des logiciels utilisés.

Tout juste peut-on dire que conteneurs et locaux seront surveillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par de la vidéoprotection, des agents de sécurité privée et des fonctionnaires de sécurité intérieure. Il y va de la sûreté de ce site stratégique pendant les Jeux comme de l'intégrité des épreuves sportives et de la crédibilité de la lutte antidopage française. Car la concurrence fait rage entre laboratoires habilités, notamment en Europe.

Grâce aux Jeux, le LADF a d'ailleurs rattrapé son retard. « Aujourd'hui, l'excellence française est internationalement reconnue sur le contrôle et l'analyse », se félicite Béatrice Bourgeois, la présidente de l'AFLD. Le laboratoire veut en profiter pour multiplier ses clients étrangers (45 % des 23 000 échantillons qu'il a analysés en 2023), notamment des continents africain et sud-américain, où la lutte antidopage n'est pas aussi bien structurée.

Après les Jeux, le LADF pourra consacrer 7 % de son budget à la recherche, autre exigence de l'AMA. Et s'installer durablement au cœur de l'expertise scientifique française à Paris-Saclay, comme « une référence internationale », veut croire Sylvie Retailleau.


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Cette page a été mise en ligne le 19/10/2024