Bibliographie



Marc Madiot - L'histoire, réécrite, est toujours plus belle

26/03/2016 - www.cyclisme-dopage.com (mise à jour 25/06/2016)

Marc Madiot (avec Mathieu Coureau) - Parlons Vélo - Editions Talent Sport 2015

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Le livre d'entretiens "Parlons Vélo" a été salué comme un exercice de "parler vrai" de la part du manager de l'équipe FDJ. "Homme de caractère, il nous parle sans retenue et n’évite aucun sujet", annonce son éditeur. Bigre ! Voilà qui donne envie.

Hélas, après avoir refermé ce livre, nous avons plutôt trouvé que ce parler vrai sonnait faux. Nous nous permettons de citer quelques passages du livre et les réflexions qu'elles nous inspirent.

Le dopage sanguin

« Avant, on ne tripatouillait pas le sang. »

Marc Madiot qui se targue d'être depuis toujours un lecteur assidu de L'Equipe a la mémoire courte ou sélective, au choix. Le tripatouillage sanguin, s'il a connu un retour en grâce après la mise au point de tests de détection de l'EPO, n'a rien de nouveau. Le docteur Henri Fucs, dans son livre L'Abcès, publié en 1979, se fait l'apôtre des transfusions sanguines et évoque leur utilisation lors des Jeux olympiques de Mexico en 1968. C'est ce même docteur qui pratiqua les transfusions sanguines avec son patient Joop Zoetemelk pendant le Tour de France 1976.

En 1984, Francesco Moser bat le record du monde de l'heure. Au menu de sa préparation figurent des transfusions sanguines. Toujours en 1984, l'équipe américaine de cyclisme pratique le dopage sanguin pour les Jeux Olympiques de Los Angeles. Cette année-là, Marc Madiot est encore dans les premières années de sa carrière.

Quand il met un terme à sa carrière, en 1994, l'EPO est déjà bien connue et a commencé à se répandre dans les pelotons. Elle fait d'ailleurs son apparition sur la liste des produits interdits par le CIO dès 1989.

Il se peut tout à fait que Marc Madiot n'ai pas eu recours au dopage sanguin, que ce soit sous forme de transfusion ou de prise d'EPO. Mais il ne peut affirmer qu'à son époque cela n'existait pas.

Les amphétamines

« C'est un excitant. Tu ne dors pas. C'est sûrement répréhensible dans la démarche, mais on n'avait vraiment pas l'impression de tricher. On faisait la tournée des critériums, on était comme les étudiants, les gens du show-biz de l'époque qui, en période d'examens ou en tournée, prenaient des excitants, comme de la caféine, pour augmenter leur capacité de travail, pour ne pas dormir et assurer le spectacle... Et je n'en ai jamais pris en course, jamais. (...) Sur les critériums, qui n'étaient pas des compétitions mais des spectacles, on prenait parfois des amphétamines. Il n'y avait pas de contrôles. »

Que Marc Madiot avoue avoir utilisé des amphétamines pendant les critériums, cela n'a rien de bien nouveau. Dès 1989, il l'avait admis.

La phrase de conclusion (" Il n'y avait pas de contrôles ") est plus intéressante. Elle dénote l'état d'esprit des coureurs de cette génération. Ce qui compte avant tout c'est le risque ou non d'être contrôlé. On est dans la culture du "pas vu, pas pris", celle qui a rendu possible l'explosion de la pratique du dopage dès lors que sont apparus des produits réellement efficaces.

Au passage, Marc Madiot confirme que Madiot Marc nous prenait pour des billes quand il déclarait en 1988 dans L'Equipe : "Dès que les amphétamines ont été officiellement interdites, personne n'y eu recours.". Pour la petite histoire, les amphétamines ont été inscrites sur la liste UCI des produits interdits dès le 01/01/1967.

La science coupable

« Le problème, c'est qu'avec les progrès de la médecine, de la science, tout a dégénéré. »

En effet, quand la science a permis de passer du dopage à la papa (celui que décrit Marc Madiot) au dopage scientifique, réellement efficace, les écarts se sont considérablement creusés entre les coureurs-souris de laboratoire et les autres, qu'ils soient propres ou simples bricoleurs ès-pilules.

Mais la science a bon dos. Si le dopage a ainsi pu exploser au détour des années 90, c'est aussi (et peut-être surtout) parce que pendant des générations le monde du sport, et singulièrement du cyclisme, a toléré, pratiqué ou encouragé les pratiques dopantes. Qu'on le veuille ou non, Lance Armstrong est l'héritier de Jacques Anquetil, Tom Simpson, Bernard Thévenet, Joop Zoetemelk, Michel Pollentier et aussi de Marc Madiot. Jamais on n'a entendu le Mayennais s'insurger contre le dopage de ses collègues lorsqu'il exerçait encore ses talents sur un vélo.

Pour que les choses dégénèrent, il faut d'abord qu'elles aient vécu. Le dopage a vécu, bien vécu, dès avant les années 90.

Les corticoïdes

« Des corticoïdes, on en prend tous à un moment donné dans sa vie pour se soigner. Et n'oublions pas qu'à l'époque, ils n'étaient ni contrôlés, ni interdits non plus. »

Si les corticoïdes ne sont devenus détectables par les contrôles antidopage qu'en 1999, ils étaient interdits de très longue date. Avant même leur apparition en 1978 dans la liste UCI des produits interdits, l'UCI comme le CIO en prohibaient l'usage.

Marc Madiot a fait tout sa carrière sous le régime de l'interdiction des corticoïdes en tant que substance dopante. Les règlements ont souvent évolué, entretenant un flou artistique, pour permettre un usage thérapeutique. Médecin et sportifs n'ont pas manqué de l'exploiter, en toute impunité puisque le produit n'était pas détectable.

Mais, affirmer que les corticoïdes n'étaient pas interdits relève du vilain mensonge.

Le respect des règles

« C'est comme si aujourd'hui on voulait juger et sanctionner les gens qui, à une époque, roulaient à 180 km/h sur route nationale alors qu'il n'y avait pas de limitations de vitesse. C'est un peu le même principe. Il est difficile d'avoir une appréciation juste sur une époque durant laquelle les règles n'étaient pas les mêmes. Ce qui compte, de mon point de vue, c'est de respecter les règles du moment. Il y a des règles, elles sont ce qu'elles sont, on les respecte, point barre. (...) Aujourd'hui on me dit qu'il faut rouler à 50 km/h au lieu de 80 km/h en traversant Renazé, je roule à 50 en traversant Renazé. Les règles de l'époque, je les respectais. »

On l'aura compris, pour Marc Madiot, ce qui compte avant tout c'est la présence ou non de radars sur les routes. A son époque, le dopage était interdit. Les amphétamines étaient interdites. Les corticoïdes étaient interdits. Les transfusions étaient interdites. L'EPO était interdite. Comme aujourd'hui. Ce qui a changé, c'est le renforcement des contrôles. Les règles ont peu évolué. La liste des produits interdits a peu évolué. Qu'il le veuille ou non, les amphétamines étaient interdites dans les critériums. Pourtant, il affirme : " Aujourd'hui on me dit qu'il faut rouler à 50 km/h au lieu de 80 km/h en traversant Renazé, je roule à 50 en traversant Renazé. Les règles de l'époque, je les respectais. ". Non Monsieur Madiot vous ne les respectiez pas quand vous preniez des amphétamines pour courir les criteriums, quand bien même vous n'étiez pas le seul amphétamines.

La justice

« Je n'ai d'ailleurs jamais été mis en examen pour quoi que ce soit. »

En effet, Marc Madiot n'a jamais été mis en examen. L'avocat Thibault de Montbrial, s'étonnant qu'il se soit si bien sorti de sa garde à vue dans le cadre de l'affaire Festina, le qualifiera même de "miraculé de la procédure".

Pourtant, s'il n'était pas sur le banc des accusés, il fut bien question de lui lors du procès Festina qui se tint à Lille en octobre et novembre 2000. Tout d'abord, à l'évocation du contrôle sanguin de d'Erwann Menthéour lors de Paris-Nice 1997. Selon le coureur, ce matin-là, vers six heures, Marc Madiot fait irruption sa chambre pour lui annoncer le contrôle. Le soigneur Jef d'Hont arrive à son tour avec la machine à tester l'hématocrite. Immédiatement, il lui fait une piqure de cortisone et une perfusion d'eau dans un bras pendant que le docteur Testa ponctionnait du sang dans l'autre bras. La manoeuvre ne suffira pas et Menthéour sera contrôlé avec un hématocrite supérieur à 50%. Pendant sa garde à vue, Marc Madiot ne confirme pas tous les détails mais confirme avoir vu Massimo Testa et Jef d'Hont dans la chambre du coureur.

Le même Erwann Menthéour ne s'est pas privé de charger son ancien patron devant les policiers. Ainsi, il affirme que Marc Madiot avait embauché Jef d'Hont pour en faire le "Monsieur Dopage" de l'équipe. Sans rien organiser, le manager aurait réuni toutes les conditions pour que ses coureurs puissent accéder facilement aux protocoles de dopage. Menthéour ajoute que Madiot lui aurait déclaré : " Tu fais ce que tu veux, mais si tu es contrôlé positif, je ne suis plus là ". Frédéric Guesdon, aujourd'hui directeur sportif de la FDJ ne dit pas autre choses devant les policiers : " Marc Madiot nous a dit, au début du Tour de France 1998, que nous étions libres de faire ce que nous voulions concernant le dopage mais que, en cas de contrôle positif ; cela ne relèverait que de la responsabilité du coureur ; il ne soutiendrait pas son coureur ". Emmanuel Magnien, autre coureur de l'équipe, va également dans le même sens : " Le directeur sportif Marc Madiot est au courant de ce qui se passe, comme tout le monde mais néanmoins, pour dégager sa responsabilité sans doute, il nous a prévenus au début du Tour 1998 qu'il ne fallait pas qu'on trouve de produits positifs en notre possession. Je pense que c'est de l'hypocrisie ". Christophe Mengin va encore un peu plus loin en affirmant que Marc Madiot avait vivement conseillé à chaque coureur l'achat de sa propre machine à tester son hématocrite.

Finalement, Marc Madiot, toujours devant les policiers, fera le Ponce-Pilate : " Je ne voulais pas savoir si mes coureurs utilisaient ou non l'EP0, l'essentiel était qu'ils ne se fassent pas prendre ". Moyennant quoi, il put échapper à une mise en examen.

Jef d'Hont

« Jef d'Hont, je l'ai connu quand j'étais coureur chez Telekom. Et c'était un très bon masseur. Il ne m'a jamais rien donné d'illicite. Jamais. Et puis on a sympathisé et je suis toujours ami avec lui. »

Si Jef d'Hont n'a jamais rien donné d'illicite à Marc Madiot, on ne peut en dire autant des autres coureurs qu'il a "soignés", que ce soit à la Telekom ou à la Française des Jeux. On a vu plus haut que le soigneur transportait avec lui une centrifugeuse pour tester l'hématocrite des coureurs. Ce n'était sans doute pas pour s'assurer qu'ils étaient à l'eau claire. Ni pour faciliter son travail de masseur.

A la Telekom, Jef d'Hont exerce comme soigneur pendant le Tour de France 1996 qu'écrasent Bjarne Riis et Jan Ullrich. Grâce " à leur préparation et à leur qualité physique " précisera sans rire le soigneur. Toujours sans rire, il déclarera ne pas savoir ce que signifie le terme " pot belge ".

A la Française des Jeux, plusieurs coureurs le désignent comme le " Monsieur Dopage ". Erwann Menthéour affirme que D'Hont lui faisait des injections de corticoïdes et d'EPO.

Lors du procès en appel de l'affaire Festina en place 2002, Marc Madiot déclarera avoir vu passer le soigneur avec des seringues à la main dans les couloirs de l'hôtel où séjournait l'équipe un soir de course à étapes. Sans doute pour faire des batailles d'eau avec les coureurs.

Moyennant quoi, Marc Madiot, aujourd'hui pourfendeur du dopage est resté ami avec Jef d'Hont, lequel adore faire du vélo en tenue FDJ.

Affaire Festina

« Je me suis défendu, j'ai dit la même chose que précédemment : "Non, je n'ai jamais donné d'EPO à mes coureurs. Certains en ont pris, certes, mais je ne leur ai rien donné, je n'organisais rien au sein de l'équipe." »

Marc Madiot se drape dans sa vertu en clamant qu'il n'a jamais organisé le dopage au sein de son équipe. Admettons. Mais il s'agit là d'une posture hautement hypocrite. On les a déjà cités plus haut, mais il nous faut répéter leurs déclarations. Frédéric Guesdon, interrogé dans le cadre de l'affaire Festina, déclarera aux policiers : " Marc Madiot nous a dit, au début du Tour de France 1998, que nous étions libres de faire ce que nous voulions concernant le dopage mais que, en cas de contrôle positif, cela ne relèverait que de la responsabilité du coureur ; il ne soutiendrait pas son coureur ". Emmanuel Magnien ne dira pas autre chose : " Marc Madiot est au courant de ce qui se passe, comme tout le monde mais néanmoins, pour dégager sa responsabilité sans doute, il nous a prévenus au début du Tour 1998 qu'il ne fallait pas qu'on trouve de produits positifs en notre possession. Je pense que c'est de l'hypocrisie ". Il n'est pas le seul.

De son côté, Christophe Mengin déclarera aux policiers que Marc Madiot avait vivement conseillé à chaque coureur l'achat de sa propre machine à tester son hématocrite. On se demande bien pourquoi.

Concluons en rappelant les déclarations de Marc Madiot face aux enquêteurs : " Je ne voulais pas savoir si mes coureurs utilisaient ou non de l'EPO, l'essentiel était qu'ils ne se fassent pas prendre ".

Bernard Sainz

256 pages et pas un mot pour Bernard Sainz. Etonnant alors que le faux médecin normand a beaucoup compté dans la vie de Marc Madiot, notamment à l'époque de la création de l'équipe Française des Jeux. Interrogé dans le cadre de l'affaire Sainz-Lavelot, le champion le présentait comme un "manipulateur de l'ombre", un maître chanteur : Bertrand Lavelot et Bernard Sainz "faisaient la pluie et le beau temps dans le peloton", expliquait-il aux enquêteurs. Pire encore, il se disait victime de pressions de leur part, subissant un véritable chantage puisqu'ils connaissaient sa propre dépendance aux amphétamines.

A l'époque, Madiot s'ouvrait auprès de ses coureurs au sujet de sa relation avec Sainz. A Jérôme Chiotti, il expliquait par exemple en 1994 : "Tu sais, beaucoup des choses que je sais viennent en grande partie de l'expérience du docteur Mabuse. Comme je ne vais plus être derrière toi, il vaudrait mieux que ce soit lui qui te suive dorénavant."

En 1999, il sait que son coureur Yvon Ledanois est suivi par Bernard Sainz mais cela ne l'émeut guère. Il explique en garde à vue : "Si cela m'avait gêné que Ledanois soit conseillé et soigné par M. Sainz, je n'aurais pas renouvelé son contrat pour l'année 1999. Or, je l'ai fait. Et ayant eu recours moi-même dans le passé aux soins de M. Sainz, cela ne me faisait aucun souci de savoir que Ledanois était suivi par M. Sainz".

En mai 2000, Madiot vient défendre Sainz devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Il affirme alors que Mabuse ne lui aurait prescrit que des tisanes à l'époque où il était coureur. S'il faisait appel à lui, ce n'était qu'à cause de l'absence de diététiciens et d'homéopathes dans le milieu sportif.

Au moment de se confier à Mathieu Coureau, il a malheureusement oublié tout cela.