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Brève



Dopage : la loi du silence

11/09/1981 - L'Equipe - Noël Couëdel

Extraits

On pourrait croire, si l'on se fiait aux apparences, que le problème du dopage est en passe d'être maîtrisé dans le cyclisme professionnel. Les résultats des contrôles médicaux qui nous sont communiqués sont toujours négatifs. Ce fut le cas à l'issue du Tour de France, ce fut encore le cas récemment au terme des Championnats du monde sur route de Prague. La vérité est toute différente.

Il faut savoir, en effet, que les résultats ne sont rendus publics que lorsqu'ils sont négatifs. C'est ainsi que, pour ne parler que de cette saison, de nombreux contrôles positifs ont été établis sans que cela soit annoncé officiellement. L'un des laboratoires agréés par l'UCI, celui de Cologne où officie le docteur Manfred Donike, a par exemple détecté, pour 1981, trois cas d'anabolisants au Grand Prix de Dortmund, un au Giro, au Tour du Luxembourg, un au Tour d'Allemagne et quelques autres ici et là. La moisson 1980 avait été aussi bonne et quelques professionnels français figuraient d'ailleurs au nombre des coureurs épinglés. Cette année, au Tour du Tarn, au Critérium du Dauphiné Libéré et dans d'autres épreuves françaises, plusieurs coureurs, d'horizons divers ont été convaincus de dopage. Personne ne le sait.

Il s'est établi, depuis environ un an et demi, en France mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas et ailleurs, une sorte de convention tacite. C'est la loi du silence. Elle convient aux intéressés, mais il faut s'élever contre elle. Il s'agit là (...) d'un véritable scandale.

(...)

Reconnaissons, cependant, que ce silence n'enfreint pas la réglementation (...). Un coureur français convaincu de dopage est avisé personnellement ainsi que la FFC si la course a lie à l'étranger, et son Comité si elle a lieu en France. A la limite, ni l'organisateur ni l'employeur même du fautif n'en sont nécessairement informés. Et rien, absolument rien n'impose que la sanction, donc l'information, soit rendue publique.

Les conséquences de cet état de fait sont les suivantes :

1. Les classements des courses tels que nous les avons publiés sont parfois faux (et c'est naturellement le cas pour le Dauphine-Libéré) puisque les coureurs pénalisés ont été déclassés à la dernière place de l'étape et ont reçu dix minutes de pénalisation au classement général. Les différents challenges (Pernod par exemple) sont d'ores et déjà faussés. C'est naturellement insuportable mais apparemment tout le monde s'en moque. (...)

2. L'impact de la sanction, tenue ainsi secrète, est considérablement atténué et la première faute banalisée. La seule sanction qui subsiste est l'amende (1000 F suisses) mais le fautif continue à bénéficier le cas échéant, et cela contrairement à la loi, des prix et primes qu'il a éventuellement gagnés.

Naturellement les choses se corsent en cas de décidive (...). Précisons d'abord qu'un coureur est considéré comme récidiviste si la deuxième infraction a lieu dans les deux années qui suivent. S'il ne renouvelle pas sa faute dans ce délai, il conserve le bénéfice de son classement et de ses prix. L'erreur et l'injustice sont alors définitivement entrés dans les faits.

(...)

Il se trouve des hommes comme Lucien Bailly, directeur technique national, et Philippe Crépel, directeur sportif de l'équipe La Redoute-Motobécane pour s'accommoder de cette situation bancale. " A la première faute, disent-ils en substance, le coureur bénéficie du sursis et, dans notre sport, cette notion de sursis englobe la non publication de la faute. En cas de récidive, il convient, cette fois, d'appliquer la loi avec rigueur. "

Cette attitude est dictée soit par le souci de préserver le cyclisme de nouveaux scandales, soit par celui d'épargner le renom de la firme, voire encore le moral d'un coureur. Ce ne sont pas des soucis méprisables. Ils doivent cependant s'effacer devant la vérité. Est-ce rendre service au sport cycliste que de laisser en l'état des classements dont on sait qu'ils sont faux ? Et, en cas de récidive, quand il faudra bien rendre la faute publique (le coureur a trois mois de suspension ferme) ne devra-t-on pas avouer que, précédemment, on avait mis l'étouffoir sur des cas de dopage ? Et cela confortera le sentiment de ceux qui pensent que le cyclisme professionnel vit constamment en eau trouble. Pour une faute non avouée on risque de donner alors naissance à un scandale plus aigu. C'est faire fausse route et raisonner à courte vue.

Pour sa part, M. Germain Simon, président de la FFC, interrogé par nos soins sur cet étrange silence nous affirmé qu'" il n'y avait aucune volonté délibérée de sa part et qu'il pensait normal de publier brièvement l'information pour la véracité des classements et des challenges. " Il a promis d'y veiller. Nous attendons donc la liste complète des coureurs déclarés positifs pour la saison 1981. Encore faudrait-il que les fédérations voisines aient l'honnêteté élémentaire de faire de même. Jusqu'à plus ample informé les résultats des courses publiés le sont sous toutes réserves. C'est incroyable mais c'est ainsi.


Le post-scriptum de cyclisme-dopage.com

Selon nos informations, parmi les cas cités à l'étranger, aucun ne sera jamais dévoilé. En France les cas de Robert Alban (positif lors du Dauphiné-Libéré) et Dominique Sanders (positif lors du Tour du Tarn) seront effectivement dévoilés quelques semaines plus tard.


Cette page a été mise en ligne le 17/04/2009.


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