Dossier dopage

Vers une évolution des pratiques dopantes


05/06/2012 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Même si les transfusions sanguines autologues sont toujours indétectables, il est indéniable que le passeport sanguin (ou Passeport Biologique de l'athlète®) a fait évoluer les pratiques dopantes. En cas de transfusion de sang total, on avait tendance à penser que les paramètres des globules rouges (taux d'hémoglobine et hématocrite) n'étaient pas modifiés. Or, dans ce cas, l'organisme va lutter contre l'augmentation de pression sanguine et va éliminer du plasma : si une transfusion autologue est invisible à très court terme, elle ne l'est plus quelques heures après car le taux d'hémoglobine et l'hématocrite seront augmentés, alors que les réticulocytes (jeunes globules rouges relargués par la moelle osseuse) seront diminués. Le taux des réticulocytes est bien plus intéressant à considérer que l'hématocrite, abandonné en 2008 dans le programme du passeport, et qui varie naturellement dans des proportions plus importantes. Un dopage à l'EPO ou un prélèvement sanguin fait augmenter les réticulocytes. A l'arrêt de l'EPO, les réticulocytes finiront par diminuer sous la normale. Les tricheurs devaient donc trouver une solution pour masquer la transfusion de sang autologue : cette transfusion se fait dorénavant en 2 temps. On injecte d'abord les globules rouges, puis le lendemain, le plasma. L'injection de plasma permet de masquer l'augmentation du taux d'hémoglobine. Mais les réticulocytes vont diminuer : pour contrebalancer cet effet, il faudra alors injecter une ou plusieurs microdoses d'EPO (soigneusement calculées) pour ramener les réticulocytes à leur valeur normale (ou " déclarée ") sur le passeport sanguin de l'athlète. Ces microdoses d'EPO (détectables pendant seulement quelques heures) masquent donc les transfusions autologues : l'EPO est utilisée actuellement comme un agent masquant et non plus comme un agent augmentant la performance ! La lecture des anomalies dans la variation des taux des constantes sanguines d'un athlète a donc évolué. A des anomalies correspondant à des pics, on trouve maintenant des courbes quasi-parfaites et il n'est pas aisé pour les scientifiques de convaincre les fédérations de suspendre le sportif devant une absence de variation de ces taux. La maîtrise du taux des réticulocytes d'un athlète est réservée à des spécialistes hématologues, gravitant en eaux troubles dans l'entourage des meilleurs sportifs.

Pour en revenir à l'affaire Contador sur le Tour 2010, Michael Ashenden (qui a refusé d'intégrer l'APMU ou Athlete Passeport Management Unit) nous propose un scénario plausible : l'espagnol s'injecte ses globules rouges entre lundi 19 et mardi soir 20 juillet, veille du jour de repos. Le taux de plastifiants montre un pic ce mardi (et pas la veille ni le lendemain). Il faut savoir que les globules rouges sont stockés dans des poches souples contenant des plastifiants (DEHP) qui servent aussi à protéger leur membrane dont l'élasticité est conservée. Le plasma est lui conservé dans des poches ne contenant pas ces plastifiants (sa conservation aurait été entravée par le DEHP) .Le plasma est injecté le lendemain avec le clenbutérol, c'est-à-dire le matin du jour de repos, mercredi 21 juillet, date du prélèvement inopiné dans le cadre du passeport sanguin. En cas de prise antérieure de clenbutérol, c'est le plasma qui sera contaminé, mais pas les globules rouges. Comme le taux des réticulocytes de Contador a toujours été très élevé durant ce Tour de France, on peut supposer qu'il s'est injecté des microdoses d'EPO pour masquer leur chute suite à une ou plusieurs transfusions. Concernant l'existence de poches de plasma sans phtalates, Ashenden fut réduit au silence durant l'audition de Contador devant le TAS. Sa théorie de la transfusion tombait à l'eau, uniquement car ce point de discussion n'avait pas été spécifié six mois auparavant dans la préparation de son dossier.

On comprend donc mieux qu'il n'y ait pas eu de nouvelles révélations de cas positifs depuis 2009 suite à des anomalies du passeport. Les courbes des tricheurs (car il y en a encore) sont trop parfaites. Il y a eu adaptation du dopage au radar du passeport sanguin et à un dopage de performance, on est maintenant passé à un dopage de récupération (d'où la diminution des vitesses d'ascension dans les cols).


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


Sur le même sujet


Cette page a été mise en ligne le 05/06/2012