Dossier dopage



La nouvelle bombe à retardement

30/09/2015 - L'Equipe - Dan Perez


En l'espace de quelques mois, trois sportifs ont été contrôlés positifs à un nouveau produit : le FG-4592. Une molécule pourtant encore au stade d'essais cliniques. Explications.

Positif à un produit qui n'existe pas. Ou plutôt qui ne se vend pas. En avril dernier, le marcheur Bertrand Moulinet, huitième du 20 km aux Jeux de Londres, est contrôlé au FG-4592. Si cette molécule fait officiellement partie de la liste des produits prohibés par l'Agence mondiale antidopage (AMA), elle est également interdite tout court à la consommation humaine, et, donc, dans le commerce. Deux mois plus tard, le coureur italien de l'équipe Androni (Continental Pro) Fabio Taborre est lui aussi contrôlé positif à cette substance, de même que le Chilien Carlos Oyarzun (Keith Mobil Partizan, Continental), aux Jeux Panaméricains en juillet.

« Le FG-4592 est destiné à la recherche, explique-t-on chez Cayman Lab, distributeur du produit. Il ne doit absolument pas tomber dans les mains de n'importe qui. Seuls les chercheurs et les instituts agréés sont autorisés à l'obtenir. » Même son de cloche chez les autres distributeurs européens et nord-américains : impossible, pour une personne étrangère au monde scientifique, de se procurer la molécule.

(...)

Sauf que les sportifs l'ont eue entre les mains. La substance retrouvée dans les échantillons des trois athlètes est pourtant encore au stade des essais cliniques, d'où son appellation technique, même si elle commence à répondre au nom de Roxadustat. Destiné au patient souffrant d'anémie, le FG-4592 favorise le développement des globules rouges dans le sang afin d'augmenter la quantité d'oxygène envoyée au muscle pendant l'effort. « Ce sont des petites molécules qui ne sont pas difficiles à synthétiser, explique le professeur Michel Audran, spécialiste du dopage sanguin. Vous avez des tas de laboratoires clandestins dans les pays de l'Est et en Asie susceptibles de les fabriquer. Légalement, ils n'ont pas le droit de le faire parce que la molécule est brevetée, mais c'est assez courant. » Bertrand Moulinet était très proche des marcheurs russes et ukrainiens « célèbres pour leur unique façon de se préparer », selon un proche de l'athlète. Ce qui expliquerait qu'il ait pu se procurer du FG-4592.

Mais avoir un bon réseau n'est même plus une condition nécessaire. Internet se charge de tout. Des forums de bodybuilders évoquant librement le nom des produits à prendre aux sites chinois douteux qui les proposent contre de l'argent, vous trouverez à peu près tout ce que vous voudrez. Sans parler du « Darknet », cette face cachée de la Toile planétaire, vite transformable en une sorte d'épicerie géante de l'illégalité, accessible après quelques manipulations sur ordinateur, où se monnaient fusils d'assaut et sachets d'héroïne, reléguant d'ailleurs les produits dopants au rang objectif de gadgets.

« On n'est jamais très sûr que le produit qu'on achète est véritablement la substance active, précise Xavier Bigard, le conseiller scientifique du président de l'Agence française de lutte antidopage (AFLD), qui ne peut imaginer une initiative personnelle des athlètes concernant une molécule encore très confidentielle. De plus, les protocoles à suivre pour le FG-4592 ne sont absolument pas formalisés. Une prise deux fois par jour est-elle nécessaire ? Ou est-ce qu'une fois par semaine suffit ? Quelle dose faut-il ingérer pour passer entre les mailles du filet ? » Laura Staebler, manager technique chez Cayman Lab, prévient aussi qu' « on ne connaît rien de ses effets secondaires. Ce n'est pas un médicament parce que les recherches ne sont pas terminées. Il est très possible que des produits soient importés par des scientifiques puis redistribués dans d'autres pays. Cela peut se révéler très dangereux. »

On ne connaît rien des effets secondaires

D'ailleurs, les recherches autour d'un cousin du FG-4592, le FG-2216, s'étaient brusquement arrêtées en 2007 après la mort d'un des patients lors d'essais cliniques menés par le laboratoire californien Fibrogen. L'administration sanitaire américaine (la célèbre Food and Drug Administration) avait finalement autorisé la reprise des travaux, un an plus tard.

Mais les risques encourus n'ont que trop peu d'effets dissuasifs sur les athlètes. « Ils s'en foutent complètement, soupire Xavier Bigard. Pour retrouver les sommets ou y rester, pour monter dans la hiérarchie, le sportif est prêt à n'importe quoi. Y compris à utiliser ce genre de substances en en ignorant les effets secondaires. »

Le laboratoire de Châtenay-Malabry a été le premier à détecter la substance - chez Bertrand Moulinet -, en profitant pour réajuster sa réputation, en berne depuis quelques années (*). « Tout le monde sait aujourd'hui que la molécule est détectable, elle est donc morte, assure Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, spécialiste du dopage. Des microdoses, comme pratiquées actuellement avec l'EPO pour éviter les contrôles positifs, seraient inefficaces. » Xavier Bigard se contente, lui, d'« espérer que ce soit dissuasif ». De fait, le temps de maintien du FG-4592 dans l'organisme (...) n'est pas encore entièrement établi. Mais d'autres dangers guettent. « Certaines molécules similaires sont abandonnées tôt par les laboratoires car ils ont trouvé plus efficace ou moins toxique, explique Michel Audran. Toutefois, les données sont publiées. Il suffit d'être un bon chimiste pour reproduire ces molécules. Un laboratoire clandestin peut donc très bien développer ce type de produit en promettant aux athlètes les mêmes effets que le produit ‘'leader'', tout en sachant qu'elle ne sera pas détectée, puisque pas recherchée. » Une course sans fin.

(*) En 2000, le test de détection de l'EPO, mis au point par Jacques de Ceaurriz et Françoise Lasne, avait assis la réputation du labo, également en pointe dans l'affaire Landis (2006) et les tests rétroactifs de 1999 sur Lance Armstrong, dévoilés en 2005.

Lire l'article en entier



Cette page a été mise en ligne le 04/10/2015