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Actualité du dopage |
Avant le départ du Tour de France, j'ai fait une petite vidéo qui a fait le tour du peloton, à propos des mixtures en vogue, les corps cétoniques ou cétones, que certains coureurs décharnés avalent sur le vélo et hors-vélo en boisson de récupération, en pensant boire chaque fois le sang du Christ. Au lieu de s'alimenter et de boire diététique. Ils préfèrent le chimique et les produits de laboratoire synthétisés.
Échec et mate @LeTour 2020 grâce au mélange @ketoneaid 1 et 4 , #Bernard et @realDonaldTrump. Je vous explique comment je vais être à la pointe grâce à mes " Performance Enhancing Drink " comme il est écrit sur la notice, et non pas PEDs comme Drugs ! La bomba ??pour 500 watts ! pic.twitter.com/yHu7ky6io1
— ??ntoine VAYER ?? (@festinaboy) July 26, 2020
Le principal producteur de cette boisson synthétique aux USA, KetonaeAid, m'a envoyé six flacons de KE4 et de six de KE1, de cette « Performance Enhancing Drink » comme il est écrit sur les fioles.
Il y en a pour une petite fortune. C'est en référence aux « PEDs », les produits dopants, appelés « Performance Enhancing Drugs » là-bas (traduction : drogues visant à améliorer la performance). Les Américains ont de l'humour décomplexé dans le sillage de celui de leur président. J'ai découvert qu'il existe une vraie Vayer Tower là-bas. Ils ont dû confondre.
Toujours est-il qu'ils se sont dits heureux cet été, de faire un cadeau à « l'influenceur frenchie Vayère », comme ils prononcent. Ils avaient lu mon magazine « NOT NORMAL » et l'article du magazine Esquire où je parlais de Froome, grand corps malade et grand consommateur de cétones, de salbutamol, de corticoïdes, j'en passe et des meilleures.
La mutation de Froome, à 26 ans, passé d'âne à cheval de course terriblement efflanqué en l'espace d'un mois fin 2011 a interpellé.
Je vais dépasser les huit millions d'impressions de tweet en 28 jours sur mon compte twitter, alors pensez-donc, cela ne pouvait pas faire de mal de me faire des cadeaux pour du publi-reportage. L'an dernier à Bruxelles, ils ont arrosé tout le peloton pour qui voulait et pour lancer leurs produits. « Nous offrons à qui veut de l'ester cétonique gratuit à n'importe quelle équipe Antoine. Dis-leur, en Belgique. Pour que cela soit juste avec tout le monde, pour qu'il pédalent en toute égalité. Pour que les gens comprennent, regarde : le Team Jumbo admet l'utilisation de nos Ketones ! Ce n'est pas une drogue c'est un aliment calorique ! »
Cette année ils m'ont précisé après l'envoi : « Fais-tu toujours de l'exercice ? Si tu t'entraînes normalement à jeun (ce qui est vraiment risqué pour le commun des mortels mais qui serait la méthode ultime pour perdre du poids) cela fonctionnera facilement. Mais si tu t'entraînais avec des tonnes de gels de glucides que tu avalais avant, et que tu t'arrêtes complètement d'un coup d'en utiliser pour ne prendre que des cétones à la place, donc si tu consommes 90% de calories en moins d'un coup, cela ne marchera probablement pas. Attention en buvant le KetoneAid en récupération à la place des cornflakes. Si tu en prends trop, comme c'est la mentalité des cyclistes (on donne une pilule, ils en prennent cinq), la glycémie diminuera trop et les performances seront altérées. Il faut doser. »
Aussi : « As-tu lu Antoine le nouveau papier scientifique à propos des cétones ? 5% de gain si tu ajoutes du bicarbonate de soude ! Il faut qu'on conseille les athlètes sur comment, quand prendre nos produits, à la place de quoi. C'est un protocole très déroutant. Ce n'est pas comme la caféine que tu peux simplement ajouter à tout moment. Mixer des glucides et boire simplement des cétones, puis quand cela ne fonctionne pas, boire de plus en plus de cétones, ce n'est pas ça qu'il faut faire. Tu auras les jambes vides et pas toniques. »
Finalement après quelques échanges drôles ils m'ont conseillé d'en prendre moi-même une fiole complète sur mon estomac vide pour améliorer les performances de mon cerveau. Ils ont peut-être enfin compris.
La mode c'est le low carb. Peu de carbones. Le régime low carb signifie pauvre en glucides, en français. Ce mode de vie théorisé et popularisé par les docteurs Phinney et Volek date d'une vingtaine d'années. Ces deux américains font du prosélytisme contre les glucides qui seraient la source de tous les maux, des cancers notamment. Ils plaident pour une diminution drastique des apports en sucres au bénéfice des lipides. Les adeptes de micro-nutrition, gourous de la minceur, tous rachitiques dans le cyclisme se sont jetés dessus. L'anorexie est un critère de beauté pour beaucoup.
Il s'agirait d'entraîner et d'optimiser l'organisme à brûler du gras, ce qui conférerait à la fois une protection contre des pathologies (les américains parlent même de la lutte contre le coronavirus, si, si !), et un avantage compétitif dans les sports d'endurance. Double intérêt pour nos cyclistes : faire descendre la masse grasse sous les 6% et faire tourner leurs muscles avec des lipides. C'est séduisant lorsque l'on on sait que nos réserves internes en sucre disponibles pour fournir de l'énergie à nos muscles sont épuisées par les efforts de plus de trois heures environ. Enfin, dernier avantage à dégager les sucres, si on arrive en plus à se retreindre en protéines, la sécrétion d'insuline s'effondre durablement et l'organisme produit des corps cétoniques naturellement. C'est à l'origine un produit naturel, qui a été synthétisé chimiquement par Ketones. Les cétones sont des petites molécules qui peuvent également participer au métabolisme. Il s'agit donc d'un troisième carburant utilisable par le cerveau, le coeur et les muscles principalement quand le corps n'a plus de réserves ailleurs.
Aujourd'hui, les cétones sont d'autant plus d'actualité que depuis peu de temps, des industriels ont réussi à fabriquer de façon artificielle ces cétones « identiques » à ceux que produisent notre organisme. Les cyclistes n'ont pas attendu que ces très onéreuses molécules soient disponibles au public pour les utiliser. Il existe une amusante anecdote sur un coureur Sky qui aurait paumé un bidon contenant pour plusieurs centaines d'euros de cétones. Les soigneurs au meilleur nez (le produit a un goût et une odeur très agressifs, dégueulasse, il faut bien le dire) ont été dépêchés pour ratisser les fossés de l'étape du jour !
Avec ce développement de produits industriels, les coureurs ont probablement moins besoin de siffler des bidons d'huile d'olive et de s'empiffrer d'avocat. Il suffit aujourd'hui de se pincer le nez et de prendre des shot de cétones pour profiter de ce nouveau « carburant ».
Comble de la magie, les cétones seraient aussi particulièrement utiles pour optimiser la récupération, comme l'a publié récemment le chercheur belge Hespel proche de l'équipe Deceuninck-Quickstep dans The Journal of Physiology. L'équipe de Julian fait partie des utilisateurs avec un gros budget « cétones ». Avec l'existence de ces cétones exogènes, les coureurs pensent vraisemblablement faciliter des entraînements à jeun pour perdre du poids sans compromettre leur récupération. De plus, les contraintes très lourdes du régime low carb s'éloignent et les directeurs de la performance des équipes trouvent même de nouvelles stratégies d'alimentation en course. Désormais on associerait prise de cétones et prise de glucides. C'est ce que certains appellent le dual-fuel protocol. Ainsi, les muscles brûlent à la fois des cétones et du sucre, situation complètement anti-physiologique mais probablement efficace dans les efforts d'endurance. La technologie vient encore donner un petit coup de pouce avec de nouvelles boissons énergétiques à base d'un savant mélange de différents sucres et de dérivés d'algues (alginates) permettant d'augmenter très sensiblement les apports en sucres à l'effort sans contraindre l'intestin. Cette poudre magique aurait contribué aux succès de nombreux marathoniens. Elle est utilisée dans le peloton. Saupoudrez tout ça d'une grosse dose de caféine supérieure à 600 mg par jour et vous obtenez le nouveau combo idéal pour carburer sur les pentes du Tour, ça change de la Vittel !
Le Mouvement pour un Cyclisme Crédible (MPCC) a refusé l'utilisation des cétones pour ses membres. Les équipes qui sont devant sur ce tour, comme la Jumbo par exemple, ne sont pas membres du MPCC. Bien que membres de ce MPCC, il a été proposé sous le manteau à quelques coureurs d'utiliser quand même ces cétones avec une notice d'utilisation. Beaucoup ont répondu : « On nous prend pour des cons. Ce sont des produits chimiques synthétiques, ce n'est pas clair. Enfin si, c'est clair comme démarche : ce n'est pas éthique ». Avec l'amélioration des performances et la dangerosité pour l'organisme c'est un des critères qui définit clairement le dopage. Les trois critères pour figurer sur le liste des PEDs sont : « Amélioration de la performance », « Contraire à l'esprit sportif », « Risque médical ».
Après un an d'utilisation à haute dose, pour beaucoup d'argent dépensé car ces produits sont hors de prix, certains coureurs ont l'estomac et le corps qui dysfonctionnent. Ils ont aussi des ratés en matière de performance. Ils commencent à se poser de sérieuses questions. Pour certains, c'est trop tard. Ils ont abandonné et ce tour de France et une partie de leur carrière et nous, nos illusions les concernant. Ces produits vont faire des dégâts.
Cette page a été mise en ligne le 19/09/2020