Dossier dopage

Les journalistes entre deux selles

07/07/2001 - Libération - Catherine Mallaval Et Isabelle Roberts

« En 1998, d'un seul coup, nous sommes devenus des galeux. Plus de complicité avec les coureurs. Nous, les journalistes sportifs, sommes devenus des chasseurs. On a traqué les Festina. Il y avait un côté meute. A partir du moment où nous avons compris que « faire le métier » comme disent les cyclistes signifiait aussi se doper, nous ne pouvions plus être dans la valorisation de l'exploit. Depuis, je refuse de couvrir le cyclisme », raconte un ancien du vélo, six Tours à son actif pour un quotidien.

D'autres ont continué, pris dans les affres de la schizophrénie : le classement ou les seringues ? Après trois années de réflexion, les media ont tranché : il faut les deux. Pas facile quand on est en première ligne comme le groupe Amaury, à la fois organisateur et propriétaire de L'Equipe et le Parisien, ou France Télévision, diffuseur du Tour.

(...) « Sans complaisance, avec objectivité, mais pas non plus comme des procureurs », telle sera la couverture du Tour de France sur les chaînes publiques, selon son directeur des sports, Charles Biétry. (...) Adieu, le Vélo club, lénifiante émission d'« after étape » avec Gérard Holtz, bonjour Vestiaires animé par Thierry Blancot et André Garcia. (...) Le service public s'est couvert, en dépêchant aux côtés du service des sports, un journaliste d'investigation. Sage décision (...). Que se passerait-il si une nouvelle grosse affaire était mise à jour ? (...) Tout le monde a encore en mémoire le cafouillage de l'édition 1998.

Cette année-là, Olivier Galzi, jeune journaliste enquêteur de France 2, fouille les poubelles de l'hôtel où loge l'équipe italienne Asics. Tombe sur des emballages de produits dopants. Son reportage est diffusé au 20 heures. Scandale. A France Télévision, on se souvient des hurlements de Pierre Salviac, alors chef du service des sports. Sur les étapes, les spectateurs bombardent les journalistes de tomates. Le traitement du Tour se dédouble. L'après-midi, on laisse les coureur pédaler (...) sans piper mot du dopage, le soir les affaires éclatent dans le journal ! « C'était de la vraie schizophrénie », se souvient Olivier Galzi.

(...)

Dans la presse, même dilemme. Si au sein du groupe Amaury, on précise bien qu'on n'a jamais mélangé les histoires d'organisation du Tour et les questions de journalisme, le dopage fut un coup très dur. Il a coûté, de façon indirecte, son poste à Pierre Ballester. Après plus de dix ans au service de L'Equipe. Pour lui (...) le vélo cesse en 1998 d'être un « sport endurant, donc envoûtant ».

(...) Pierre Ballester décide « avec l'assentiment » de sa direction, insiste-t-il, d'enquêter : « J'ai dû apprendre à parler avec des juges, des flics, des médecins... Il m'a fallu des mois. Pendant deux ans, j'ai trimé, ma conception du sport ne souffrant pas que l'on mette à mal le vieil adage : « on ne fait pas d'un âne bâté un pur-sang. » En février, c'est le clash, quand il s'en prend à deux collègues dont il dénonce la complaisance avec les coureurs. Trop violemment ? « Je trouve normal qu'un curé dénonce un autre curé pédophile. » On lui signe un chèque le priant de partir. Après un traitement du procès Festina, qualifié d'« exemplaire » par ses employeurs. (...)


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Cette page a été mise en ligne le 23/08/2008