|
Dossier dopage |
Alain Vernon : C'était en 1988 (...). Je suivais le Tour de France depuis quatre ans pour Antenne 2 et je commençais à avoir des doutes sur pas mal de choses : la régularité de certaines victoires, la qualité de certaines performances, etc. Des coureurs et des directeurs sportifs m'avaient dit des choses off. (...) Et puis j'assiste à la remise d'un prix à un confrère qui suivait le vélo depuis trente ans.Je regarde la scène et je me dis : "Bon sang, trente ans à ne rien révéler, à rester le témoin silencieux de tricheries en tout genre !" Une "famille", au sens le plus triste, fêtait un des siens, entre mensonges et non-dits. (...)
Alors, Dominique Le Glou et moi avons décidé de lancer une enquête sur le dopage (...). Nous avons travaillé le milieu pendant des semaines, emmagasiné près de 60 interviews, mais nous n'avions rien de réellement probant. On s'était dit : "Soit on fait quelque chose de fort, soit on ne fait rien." On ramait.
Et puis une de nos sources douanières nous a mis en contact avec un coureur cycliste qui venait juste de se retirer : Dominique Lecrocq, licencié de l'équipe Système U par son directeur sportif, Cyrille Guimard, pour contrôle positif.
Nous allons le voir, et là le gars déballe tout : les produits, les filières, les noms, tout. C'était incroyable ! Avec ce témoignage, nous avons pu épingler le célèbre docteur François Bellocq -aujourd'hui décédé-, adepte du "rééquilibrage hormonal", en lui demandant de commenter certaines de ses prescriptions. C'était chaud. Et puis on a sorti tout un tas d'informations sur d'autres disciplines (...). Le monde du sport commençait à s'inquiéter.
Mais nous n'avons jamais subi aucune pression de la part de notre direction. Et pourtant Antenne 2 vivait ses premières années de contrat d'exclusivité avec la Société du Tour de France.
Danger dopage a été diffusé (...) le lundi 10 avril 1989, à 22 h 10. Les réactions n'ont pas tardé. Le milieu cycliste a été le plus virulent. Dominique Le Glou et moi avons été menacés de procès, qui ne nous ont finalement jamais été faits. La Société du Tour de France et les représentants des coureurs ont rencontré les responsables de la chaîne, qui ont protesté officiellement.
J'ai fait le Tour de France 1989. Je voulais y aller pour montrer que je ne me cachais pas, que je ne me dégonflais pas. Le peloton m'a boycotté. Le seul qui me parlait, c'était Greg LeMond. Coup de chance, c'est lui qui a gagné. Mais il ne m'était plus possible d'exercer mon métier correctement.
Le public, lui, suivait l'affaire avec beaucoup de circonspection. Il aura fallu que la justice se mêle du dopage à grande échelle, à partir de 1998 avec l'affaire Festina, pour qu'on se rende compte que ce milieu est un milieu de menteurs. Pour appartenir à cette "famille", un journaliste devait renoncer à faire son métier. Il devait partager les moeurs du milieu.
Moi, j'ai arrêté de travailler sur le vélo parce que ça rend schizophrène : d'un côté, des sportifs qui font le spectacle, qui soulèvent les foules, accomplissent des exploits ; de l'autre, une machine à étouffer la vérité, à produire de la performance, de l'argent, sans souci de la vie de ceux qui y contribuent. Le danger, c'est de fermer les yeux au nom d'une autre rentabilité : les chiffres d'audience.
(...)
(...) Quand je pense au boulot que j'ai fait sur le vélo avant Danger dopage et à la lumière de ce qu'on a appris depuis, j'ai honte."
Alain Vernon, contribue régulièrement au site info.impartiale.net.
Cette page a été mise en ligne le 22/10/2006