Dossier dopage

L’oxygène hyperbare : le secret des Jumbo-Visma ?


25/09/2023 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

Comme toujours en cyclisme, un nouveau produit (ou une nouvelle méthode) reste autorisé jusqu'à ce qu'il soit interdit. Dans le passé, c'était le cas des transfusions sanguines (TS), de l'EPO, du xénon La liste est longue. Dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui, celui du dopage sanguin, le Pr Guiseppe d'Onofrio (1) nous apprend que pour augmenter le transport d'oxygène aux cellules, on peut utiliser soit les TS, soit les agents stimulants de l'érythropoïèse (ESA) dont la liste s'est étoffée ces dernières années. Jusque-là rien de nouveau. En revanche, en citant la dernière possibilité, l'inhalation d'oxygène hyperbare, l'hématologue nous étonne, mais à moitié. Il faut bien comprendre que cette méthode nécessite de respirer 100% d'oxygène, en caisson et à plusieurs atmosphères. Il nous étonne à moitié, car on se doutait que dorénavant les tricheurs devaient court-circuiter le passeport sanguin. Les constantes globulaires (dont l'hémoglobine des globules rouges) dont les fluctuations sont surveillées est la cible de cet outil antidopage. Les dopeurs pouvaient-ils se tourner vers les perfluorocarbones (PFC), ou des hémoglobines animales, humaines ou marines qui se solubilisent dans le plasma ? Les PFC sont faciles à détecter, les secondes possiblement dangereuses, sauf l'hémoglobine du ver marin Arenicola marina. Mais est-elle utilisée ?

L'inhalation d'oxygène hyperbare nécessiterait l'achat de plusieurs caissons pour une équipe World Tour de huit coureurs. Pas de problème pour celles qui disposent d'un gros budget, le prix d'un caisson se situant autour de 100.000 euros. La seule manière d'être certain de leurs utilisations serait la perquisition des bus. Il se pourrait bien que cette méthode soit déjà interdite. L'AMA précisait pour 2023 au chapitre M.1 des méthodes interdites : « Toute manipulation intravasculaire de sang ou composant(s) sanguin(s) par des méthodes physiques ou chimiques ». Mais y a-t-il manipulation sanguine ? L'idée serait géniale car en 2010, l'AMA précisait que la supplémentation en oxygène n'était plus interditecar inefficace. La détection et la concentration de l'oxygène dissous ne présenterait pas de problème de détection. La législation des caisson hyperbares pourrait bien rejoindre celle des caissons hypobares, interdits lors des JO et de certains championnats. Les caissons hyperbares pourraient être interdits sur les épreuves UCI d'une semaine et plus.

Dans les années 60, l'injection d'ozone (O3) en solution intra-veineuse pratiquée notamment par Jacques Anquetil n'avait pas montré d'avantage. L'ozone était censé se transformer en oxygène. L'utilisation d'oxygène à pression atmosphérique (normobare) ne sature pas non plus le plasma où l'oxygène dissous ne représente que 2 à 3%, le reste étant capté par l'hémoglobine du globule rouge. En revanche, chez un insuffisant respiratoire (tel Robert Marchand qui à 105 ans, pratiquait ses séances de home-trainer avec un masque à oxygène) la supplémentation en oxygène est même nécessaire. Les sports à dominante anaérobie lactique et alactique doivent aussi l'utiliser depuis l'affaire Stefan Luitz. Au slalom géant de Beaver Creek le 2 décembre 2018, l'allemand réussit à battre l'autrichien Marcel Hirschner grâce à des inhalations d'oxygène entre les manches alors que cette supplémentation avait été interdite par la FIS dès 2016. Le TAS invalida cette décision, jugeant que seule l'AMA pouvait légiférer. On peut être sûr que cette pratique s'est répandue, non seulement en ski alpin, mais aussi en ski nordique dans les épreuves de sprint, et en haltérophilie.

Il en va tout autre de l'inhalation d'oxygène hyperbare. La technique est utilisée en thérapeutique depuis 1959 (2) dans les cas d'anémie et de pénurie de poches sanguines, ou encore de refus de TS pour des motifs religieux (témoins de Jéhovah), de contre-indications à la TS (hémolyse, anticorps anti-globules rouges). La technique est aussi employée dans l'intoxication au monoxyde de carbone (CO) : la liaison Hémoglobine-CO est 220 fois plus stable que la liaison Hb-O2, elle nécessite une forte pression pour déloger le CO de l'Hb. La médecine anti-âge s'est bien sûr emparée de cette méthode (3).

Dans les sports d'endurance, le traitement hyperbare à 100% d'oxygène doit être réalisé tous les jours, et dure deux heures, ce qui est faisable dans un grand Tour si le bus de l'équipe est équipé de plusieurs caissons. Le taux d'hémoglobine peut grimper de 3 g/dl ! (4). L'avantage est donc décisif dans une étape de montagne. L'oxygène dissous dans le plasma se trouve à une concentration 16 fois plus importante que celle d'un plasma à pression atmosphérique : il peut atteindre 32 à 48% au lieu de 2 à 3% ! Le taux d'oxygène dissous revient à cette valeur de départ à la fin de l'étape.

(1) Le Pr Guiseppe d'Onofrio est professeur d'hématologie à l'Université catholique de Rome. Il avait été l'un des experts de l'AMA pour interpréter les fluctuations des passeports sanguins douteux dans les cas supposés de dopage dans les années post-2000. Pour lui, pas de doute : « Infusing oxygen to increase hemoglobin mass is a doping method ». Et c'est là le paradoxe de l'oxygène : une exposition à 100% d'oxygène à pression atmosphérique augmente la sécrétion d'EPO endogène. C'est aussi le cas avec de l'oxygène hyperbare. Le mécanisme n'est pas élucidé.

(2) Hyperbaric Oxygen therapy, Dr Kelly Johnson-Arbor, Georgetown University Hospital, april 2019. En 1959, une expérience avait montré que des porcs pouvaient survivre sans hémoglobine et plasma grâce à une solution artificielle de type plasma après un passage de 45 minutes dans un caisson oxygéné et pressurisé à trois atmosphères.

(3) Hyperbaric Oxygen therapy, Paolo Phaholyothin Hospital, Dr Suthi Intarachat.

(4) High Oxygen partial pressure decreases anemia induced heartrate increase equivalent to transfusion. John R. Feiner, Anesthesiology, sept 2011, vol 115, 492-498.


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


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Cette page a été mise en ligne le 25/09/2023