Dossier dopage

Hémoglobine de ver marin : c'est beau l'optimisme !


02/01/2024 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

La reprise de l'article du Huffington Post Ce ver marin aurait pu être le graal du dopage par cyclisme-dopage.com le 31/12/2023 me pousse à faire connaître aux lecteurs mon avis sur le texte du journaliste Paul Guyonnet.

On peut accorder toute confiance à Monsieur Zal dans son refus de fournir son hémoglobine de ver Arenicola marina au milieu sportif. En 1987, les géants de l'industrie pharmaceutique Amgen et Eli Lilly se disputaient le marché de l'EPO. Les deux entreprises n'avaient pas hésité à inonder le marché du sport. Il aura fallu près de 20 ans pour s'en apercevoir. Avec l'hémoglobine du ver marin (M 101), les nombreux articles écrits ne laissent aucun doute. Après l'avoir qualifiée moi-même de graal du dopage sanguin, les précautions de M. Zal et de sa société Hemarina devraient empêcher son arrivée dans le sport. Mais pendant combien de temps ? D'autres grands groupes pharmaceutiques étudient vraisemblablement d'autres hémoglobines d'animaux marins et le laboratoire Hémarina répond aux demandes des laboratoires universitaires (dont au moins celui de Hanovre) qui cherchent à étudier cette hémoglobine. Et puis l'armée américaine est son principal client. Un détournement est toujours possible, comme avec l'EPO.

L'article de Paul Guyonnet me laisse dubitatif quant au but recherché. Comment peut-il affirmer que les sportifs cherchent à augmenter leur hématocrite ? C'est plutôt l'inverse : le pourcentage des globules rouges, encore évalué dans le passeport sanguin, ne doit pas trop augmenter pour ne pas affoler les radars. Mais il n'est pas un indicateur fiable. L'Off-Score n'en tient pas compte. Je suis même étonné par les théories d'Alexandre Marchand qui a mis au point le test de détection de M 101 : « apporter plus d'oxygène autour d'un organe » est incompréhensible. M 101 permet d'augmenter la quantité d'oxygène dissous dans le plasma, donc en dehors des globules rouges. Le sang (globules rouges + plasma enrichi) perfuse l'organe entier et lui permet de fonctionner à plein régime.

Après avoir affirmé que M 101 disparaît très vite de l'organisme (sa demi-vie est de 2,5 jours), Alexandre Marchand déclare « qu'il n'y a aucun risque que l'hémoglobine de ver soit utilisée à des fins de dopage ». Comment peut-il affirmer cela alors que le dopage est actuellement pratiqué avec des produits à demi-vie très courte (donc qui disparaissent très vite) et à des dosages très faibles ? Comme M 101 transporte 40 fois plus d'oxygène que l'hémoglobine humaine, il serait tout à fait intéressant de l'utiliser en microdoses. Actuellement, on n'est pas sûr que le test de détection (valable quelques heures) puisse détecter ces microdoses. Rappelons que les contrôles antidopage sont interdits entre 23h et 6h. De plus, le changement de couleur du plasma est-il affecté par ces microdoses ? Plus loin, Marchand affirme que l'hémoglobine humaine semi-synthétique « n'est pas très efficace puisque le produit va avoir tendance à s'éliminer très vite ». L'efficacité d'un dopant ne dépend pas de sa courte demi-vie dans l'organisme ! Si on suit sa théorie, l'EPO et les sécrétagogues de l'hormone de croissance ne seraient donc pas efficaces.

Le spécialiste de l'AFLD se trompe aussi lourdement en affirmant que les sportifs seraient réticents à utiliser un produit dont les effets à long terme chez l'homme sont inconnus. Premièrement, l'histoire du dopage a montré que ce n'était pas le cas. Deuxièmement, des études ont été réalisées, il est vrai chez un petit nombre de volontaires, et ont montré que M 101 était atoxique et non immunogène. On n'est bien sûr pas à l'abri d'effets indésirables non encore connus en cas d'utilisation plus large. M 101 pourrait-elle être à l'origine de problèmes cardiaques (infarctus du myocarde) comme les hémoglobines bovines ? D'après M. Zal, elle ne provoque pas de vasoconstriction, ni d'hypertension artérielle.

L'article du Huffington Post semble donc vouloir cacher la réalité du dopage. Il comporte de plus quelques contre-vérités ou erreurs. Mais soyons clairs sur un point : la réputation de M. Zal et du laboratoire Hémarina ne saurait être mise en cause en cas de mauvaise surprise.


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


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Cette page a été mise en ligne le 02/01/2024