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Calculs de puissance |
Nous reprenons l'analyse des performances des leaders du Tour d'Espagne 2012 sur la deuxième partie de l'épreuve avec sept nouvelles ascensions. On pourra retrouver ici l'analyse de la première partie de cette Vuelta.
Les cols avec les portions utilisées pour les mesures de puissance :
12ème étape MIRADOR DE EZARO
Avant le franchissement des Asturies, Rodriguez avait une dernière occasion de montrer son fabuleux potentiel de " puncher " lors de la courte montée vers le Mirador de Ezaro avec ses passages à 29%. Le Catalan réalise encore une fois le meilleur temps en 6min59s avec 535 watts en puissance étalon ou encore 7,85 watts/kg. La performance est exceptionnelle et supérieure à la montée de la citadelle de Jaca. Rodriguez aurait une PMA (puissance maximale aérobie) proche ou légèrement supérieure à ce qu'il a réalisé sur cette ascension. Supérieure car l'évaluation de sa PMA est faite en fin d'étape après 4h d'effort et qu'il est souvent admis que la puissance développée sur un effort de 4 à 6 minutes est bien corrélée avec la PMA.
Avec les hypothèses (non vérifiables) que Rodriguez aurait utilisé 100% de son VO2max et qu'il dispose d'un rendement énergétique de 23%, sa consommation maximale d'oxygène pourrait dépasser les 95 ml/min/kg, valeur exceptionnelle.
14ème étape PUERTO DE ANCARES
La première étape des Asturies se terminait au sommet du Puerto de Ancares à 1470m d'altitude. Contador a tenté a plusieurs reprises de distancer Rodriguez avant de se faire déposer dans les 300 derniers mètres. La puissance moyenne de Rodriguez en puissance étalon dépasse de peu les 420 watts (6,25 watts/kg). La dernière montée était relativement courte (9 km) mais les coureurs devaient franchir un col de 1ère catégorie et un de 2ème en cours d'étape. Le rythme de la course s'est vraiment intensifié dans les 4 derniers kilomètres avec 450 watts de moyenne en puissance étalon (de 6,5 à 6,6 watts/kg) pendant 12 minutes pour Rodriguez et Contador. Froome a encore cédé du terrain et confirme de plus en plus son état de fatigue.
15ème étape LAGOS DE COVADONGA
Scénario identique lors de la deuxième étape des Asturies. Contador n'a pas réussi à prendre une seule seconde à Rodriguez malgré ses nombreuses accélérations. Contador et Rodriguez ont développé 445 watts (6,5 watts/kg) de moyenne en puissance étalon pendant plus de 25 minutes sur la première partie de la montée vers les lacs de Covadonga. Le profil irrégulier de la fin de la montée a été volontairement omis pour calculer la puissance développée. Valverde a pu recoller dans les derniers kilomètres. Contador, Valverde et Rodriguez ont gravi l'ensemble de la montée en 33min40s depuis la basilique de Covadonga.
La dépense énergétique a très probablement été moins importante que la veille au pied de la montée finale avec un seul col pas très long au menu de l'étape. Nous avons donc eu une course de côte opposant des coureurs ayant plus de fraîcheur que la veille.
Avant l'introduction de l'Angliru en 1999, la montée vers les lacs de Covadonga était considérée comme une des plus difficile du Tour d'Espagne. De célèbres coureurs se sont imposés sur cette montée : Pedro Delgado, Luis Herrera et Laurent Jalabert l'ont emporté deux fois au sommet. La meilleure performance enregistrée date de 1997 avec la victoire de Pavel Tonkov. Le Russe, Jalabert et Zulle avaient développé 480 watts en puissance étalon sur le même tronçon que Rodriguez et Contador cette année (1min36s de moins). La différence de puissance est de 10% environ. La comparaison en temps sur l'ensemble de la montée ne peut être faite directement car le parcours a été raccourci de 500m en 2001.
La performance des meilleurs coureurs de cette vuelta 2012 (26min05s) se rapproche de celle de Mosquera en 2010 (25min49s) et de Menchov en 2007 (25min23s).
EVOLUTION DES PERFORMANCES SUR LES LACS DE COVADONGA
La courbe suivante montre l'évolution des performances sur l'ascension des lacs de Covadonga.
Pour les années 80, la simulation a été effectuée avec les paramètres (arbitraires) suivants : surpoids de 2 kg pour les vélos ; rendement de la route et des vélos diminués de 10% (pas de pédales automatiques avant 1986).
Pour les années 80 (respectivement Dietzen et Caritoux en 1984, Delgado en 1985 et Millar en 1986), la valeur moyenne obtenue est de 420 watts. Pour les années 90 (Jalabert et Zulle en 1996, Tonkov Jalabert et Zulle en 1997) la moyenne passe à 475 watts, soit une augmentation de 12%. La puissance atteint en moyenne 450 watts pour les années 2000 (2001, 2007 et 2010). La performance de 2012 est bien sûr inférieure à celles des années 90 mais compte tenu de l'incertitude de mesure, la différence avec les années 2000 n'est pas significative.
La valeur des coureurs ainsi que les conditions de course (température, aspect tactique : à quel moment les leaders choisissent d'accélérer le rythme ?) influencent la performance. Millar et Delgado étaient parmi les meilleurs grimpeurs dans les années 80. Tonkov en 1997 avait un niveau exceptionnel. Il fut le seul à suivre Pantani en montagne l'année suivante au Tour d'Italie. Par contre Mercado en 2001, Menchov en 2007 et Mosquera en 2010 ne faisaient pas parti des tous meilleurs grimpeurs. Pour 2012, on peut considérer que Contador est le meilleur grimpeur actuel.
16ème étape CIUTU NEGRU
Avant de s'attaquer à l'épouvantail de la journée, le Ciutu Negru, les coureurs devaient escalader deux cols de première catégorie, le San Lorenzo et la Cobertoria. Sur cette dernière montée, le groupe des favoris a développé 413 watts de moyenne. Cela constitue un rythme soutenu pour un col en cours d'étape même si l'effort ne dépassait pas les 25 minutes.
La montée en direction du Ciutu Nigru est très longue (19 km) mais irrégulière avec des passages faciles en faux plats, deux courtes descentes et des forts pourcentages : 17% de pente juste avant le passage du Puerto de Pajares et 24% au maximum dans les deux derniers kilomètres. Dès lors, la puissance moyenne sur l'ensemble du col ne peut pas être déterminée avec précision. J'ai préféré couper en deux parties le calcul de puissance : le Puerto de Pajares puis la montée finale du Ciutu Negru.
L'équipe Saxo Bank a mené un train soutenu sur la première partie du Puerto de Pajares. Puis Contador a attaqué après la traversée du village de Pajares. Sur la fin du col, le duo Contador/Rodriguez a développé 440 watts pendant 13 minutes. Sur l'ensemble du Puerto de Pajares (12,9 km), Rodriguez et Contador ont développé 415 watts (6 à 6,1 watts/kg) de moyenne. Après une courte phase de récupération partielle, les deux meilleurs grimpeurs de ce Tour d'Espagne ont développé 430 watts (6,2 watts/kg) sur la dernière montée du Cuitu Negru pendant presque 12 minutes.
La performance sur l'ensemble de l'étape est exceptionnelle. L'étape était longue avec 3 cols. C'était le troisième jour de suite en montagne. Contador et Rodriguez ont gravi les deux derniers cols à 415 watts (6 à 6,1 watts/kg) mais avec deux blocs de 12 minutes à 430/440 watts (6,3 watts/kg) en fin d'étape.
17ème étape FUENTE DE
Alberto Contador a enfin réussi à distancer son grand rival de ce Tour d'Espagne, Joaquim Rodriguez, en attaquant à plus de 50 km de l'arrivée dans un col de deuxième catégorie. Compte tenu de la faible pente moyenne de la dernière ascension, je ne donnerai pas de chiffres de puissance.
20ème étape BOLA DEL MUNDO
La dernière étape de montagne se terminait au sommet du Bola del Mundo au dessus du col de Navacerrada. L'expérimenté Denis Menchov remporte l'étape tandis que Rodriguez distance Contador et Valverde à proximité du sommet. Ce ne sera pas suffisant pour remonter au classement général. Les positions entre les trois dominateurs de la Vuelta conservent leurs positions respectives. La puissance moyenne obtenue est la plus basse de toute les arrivées au sommet du Tour d'Espagne. Nous avons eu une course d'attente avec un tempo pas trop élevé dans la première partie de la montée. De plus l'altitude supérieure à 2000m diminue le potentiel aérobie des coureurs, les puissances développées baissent. Sur la portion finale de 3,2 km avec sa route en ciment, Rodriguez améliore le temps de Mosquera et de Nibali (qui date de 2010,) de 46s. Les conditions météo étaient plus favorables cette année (soleil et vent de dos dans le dernier kilomètre).
BILAN
Les puissances moyennes étalon, 78kg avec vélo, des 3 premiers du Tour d'Espagne sont respectivement de 425 watts pour Rodriguez (6,25 watts/kg) et de 420 watts pour Contador (6,15 watts/kg) et Valverde (6,15 watts/kg) pour un effort de 30 minutes. La moyenne est obtenue à partir des cinq ascensions de plus de 20 minutes : Gallina, Ancares, Pajares, Covadonga et Bola del Mundo.
Il y a une nette différence de niveau entre les trois premiers du Tour d'Espagne (plus Froome la première semaine) et le reste du peloton. Froome et Moreno, respectivement 4ème et 5ème au classement général final ont développé 410 watts, Gesink et Talansky se situent approximativement autour de 405 watts, le reste du peloton a développé moins de 400 watts.
La puissance maximale mesurée pour les meilleurs fut aux Lagos de Covadonga (445 watts). Cependant, il s'agissait d'une course de côte avec moins de dépense d'énergie en début d'étape. A plusieurs reprises en fin d'étape, les trois premiers du Tour d'Espagne ont réalisé des blocs d'intensité de 12 à 25 minutes à 440 watts (6,4 à 6,5 watts/kg).
Contador a en moyenne développé autant de watts qu'au Tour d'Italie 2011. Cependant, l'adversité était moins coriace en 2011. En Italie, l'Espagnol n'avait pas besoin de donner le maximum de son potentiel à chaque étape. De plus, les étapes du Giro comportent en général plus de dénivelé. Ce fut le cas en 2011 avec un parcours extrêmement exigeant. Je pense que nous avons eu un bon Contador sur ce Tour d'Espagne, très combatif comme toujours, avec un potentiel physique probablement légèrement inférieur à son Giro 2011.
Rodriguez apparaît plus fort qu'au Tour d'Italie qu'il avait terminé en deuxième position derrière Ryder Hesjedal. Rodriguez possède aussi un redoutable potentiel de puncher en côte. Sa puissance mesurée sur la courte montée du Mirador de Ezaro est exceptionnelle et interpelle. Froome a fait illusion lors des deux premières semaines avant de marquer le pas en fin d'épreuve. Sa puissance moyenne est inférieure à celle qu'il avait développé au Tour de France. Au service de son leader Wiggins, je pense qu'il n'a pas donné le maximum de son potentiel au Tour de France. L'Anglais, au maximum de sa forme, reste un redoutable grimpeur. Avec en plus ses qualités de rouleur de contre la montre, il peut un jour remporter le Tour de France.
Par comparaison, il apparaît que ce Tour d'Espagne fut le grand tour 2012 avec le niveau le plus élevé en montagne de la saison. Hesjedal a développé en moyenne 400 watts (5,7 watts/kg) au Tour d'Italie tandis que Wiggins a atteint en moyenne 415 watts (5,9 watts/kg) au Tour de France. De plus, les phases d'accélération ont été plus intenses et plus nombreuses sur ce Tour d'Espagne.
Si on compare dans le temps avec le Tour de France, il faut remonter aux victoires de Contador de 2007 et 2009 pour retrouver un niveau de puissance supérieur ou équivalent.
Frédéric Portoleau est ingénieur en développement de logiciels embarqués pour l'aéronautique. Il est co-auteur avec du livre "Tous dopés ? La preuve par 21.
Cette page a été mise en ligne le 10/09/2012