Dossier dopage

Les cyclistes meurent trop d'arrêts cardiaques


11/10/1990 - Le Soir - Bruno Deblander

Comme une ombre noire, le problème du dopage plane sur les cyclistes. Aujourd'hui, la mort brutale de certains d'eux relance le débat.

Patrice Bar, Geert Reynaert, Dirk De Cauwer: ces trois noms claquent sinistrement. En l'espace de quelques jours, ces cyclistes belges sont morts, victimes de problèmes cardiaques. Comme une trentaine de leurs pairs, en moins de vingt ans. Du coup, un certain nombre de questions se posent et le spectre du dopage resurgit. Toute assimilation étant dangeureuse, il importe de respecter la mémoire de ceux qui ne sont plus. Aujourd'hui, cependant, le nom de l'érythropoïetine (EPO) est au centre du débat. Cette substance, que ses propriétés rendent fatalement très intéressante, serait à l'origine de certains décès.

Vingt-trois morts aux Pays-Bas, dix en Belgique, un en Espagne. C'est beaucoup. C'est beaucoup trop pour ne pas susciter une réflexion. Comment expliquer, en effet, que des sportifs comme l'étaient Marc De Meyer, Bert Oosterboch ou Johannes Draaijer (pour ne citer qu'eux) succombent du même mal et dans des circonstances fort analogues ? Comment admettre sans se poser de questions que trente-quatre coureurs cyclistes, pratiquant ou ayant pratiqué le vélo professionnellement parlant (ou presque), meurent d'un arrêt cardiaque ? (...)

Certes, le sport cycliste est considéré comme l'un des plus éprouvants. Au Vif-l'Express, Luc Vanbrussel, médecin du sport et membre de la commission médicale de la LVB, disait cependant que "le nombre de décès de coureurs ne dépasse pas celui de la moyenne humaine". Cette affirmation doit être contrebalancée par un fait. Le cyclisme est, avec le squash et la course à pied, le sport qui enregistre le plus de décès d'origine cardiaque.

Certes, l'électrocardiogramme de sportifs de haut niveau est parfois à frémir. Certains se placent sur le fil du rasoir. Leur coeur est un muscle qu'ils ont tellement habitué à beaucoup travailler qu'il fonctionne dans une espèce d'anormalité. Ce phénomène qui n'est pas propre au cyclisme débouche sur une constatation paradoxale. S'ils n'étaient pas des athlètes, d'aucuns se verraient tout simplement interdire la pratique du sport. A cet égard, le cas de Patrice Bar est édifiant. Ce jeune coureur professionnel liégeois, décédé à vingt-trois ans avait un coeur qui battait au rythme de trente-six pulsations par minute. Présentant donc un cas typique de bradycardie, il aurait confié à un de ses collègues, quelques jours avant sa mort, le conseil d'un médecin lui enjoignant de descendre pour toujours de vélo. Le fait qu'il soit mort la nuit à un moment où son rythme cardiaque est fatalement encore plus lent est, d'une certaine façon, révélateur...

Mais d'autres éléments doivent aussi être présents à l'esprit dans le cas qui nous occupe. Le plus important réside dans le niveau d'exigence formulé aujourd'hui à l'égard des coureurs cyclistes. Eddy Schurer, professionnel néerlandais, proche de Johannes Draaijer, décédé le 27 février dernier, résume bien le problème. Aujourd'hui, dit-il, le cyclisme est devenu un métier à risques. La durée des saisons, l'obligation de faire sans cesse des résultats pour justifier l'investissement important des parraineurs et le devoir d'être présent de mars à octobre, bref le stress (...) débouche parfois sur des comportements dangereux. (...)

Or, il semble bien que, parmi l'arsenal des instruments à la disposition des sportifs désireux d'améliorer leurs performances, l'éry-thro-poïe-tine (EPO) occupe désormais une place de choix. Cette substance naturelle, normalement fabriquée par les reins, sert à assurer la production en continu des globules rouges. Elle est administrée sous le nom d'Eprex, sous forme de solution injectable dans des cas d'anémie sous dyalise. Mais augmentant le nombre de globules rouges, permettant de véhiculer une plus grande quantité d'oxygène et, donc, de produire un plus gros effort, l'EPO a bien des atouts pour séduire les sportifs. D'abord, elle produit ses effets en quelques semaines. Ensuite, elle est difficilement décelable lors des contrôles antidopage. Un organisme normalement constitué en élimine la moitié en sept heures maximum.

En Belgique, comme en France d'ailleurs, l'Eprex est vendu uniquement aux centres de dialyse. Mais, le laboratoire qui en a la responsabilité ne peut légalement en refuser la vente aux pharmaciens. A ce jour, et sur base de prescription médicale, cinq d'entre eux ont émis le désir d'en disposer. Personne n'ignore pourquoi. D'ailleurs, le ministre Busquin va prochainement se pencher sur le problème. C'est que l'EPO, prise en trop grande quantité, épaissit le sang et est la cause d'embolies. Le combat qu'il tenterait de mener contre l'utilisation abusive et inadéquate de cette substance promet cependant d'être difficile. D'une part, il reste assez facile de se la procurer aux Pays-Bas parce qu'elle emprunte les circuits normaux de la distribution. Seul, son prix qui varie entre sept mille et soixante mille francs belges en fonction de la manière dont elle est obtenue peut faire reculer les acheteurs éventuels. D'autre part, l'univers cycliste est encore peuplé d'apprentis sorciers qui prétendent trop facilement posséder la potion magique. Ainsi est-il opportun de faire remarquer que les milieux médicaux et pharmaceutiques doutent rarement du fait que l'EPO est responsable de la mort de certains cyclistes. Ils soulignent cependant que c'est son administration de façon anarchique (...) qui est la cause de tout.

Maintenant, tout le monde en est encore réduit aux hypothèses. Il est difficile et il restera difficile de prouver qu'un homme est mort d'avoir absordé trop d'EPO. Dans 99 % des cas, une autopsie ne donne aucun résultat.

A présent, il convient de ne pas généraliser et d'éviter le traditionnel tir à boulets rouges sur le cyclisme. (...) La vraie question réside, il est vrai, dans l'attitude du coureur lui-même vis-à-vis du dopage, de l'équivoque qu'il peut entretenir, des complicités qu'il peut se ménager. Dans ce contexte, tout amalgame est condamnable. Dans un sport qui n'a jamais été en retard en matière de lutte antidopage, les erreurs des uns ne peuvent jeter la suspicion sur les autres.


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Cette page a été mise en ligne le 12/10/2009