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Actualité du dopage |
Vingt ans après, le cycliste que la pédagogie du procès Festina a modélisé est-il devenu un sportif idéal ou bien est-il devenu celui que la société du Tour de France a voulu qu'il demeure, tel que son économie intérieure le réclame ? Le cyclisme applique sa propre loi de Pareto, le « principe des 80-20 ». En économie, il émet l'hypothèse qu'agir sur 20 % des causes permet de réduire 80 % des problèmes. Le cyclisme lui trouve bien d'autres applications. Après l'affaire Festina, 80 % des coureurs continuaient à se doper, 20 % hésitaient. Maintenant c'est l'inverse : mais les 20 % gagnent 80 % des épreuves.
Avant, ceux qui trichaient mettaient dans une seringue l'intégralité d'un corticoïde puissant, un Kenacort retard 80 mg/2 ml, et se l'injectaient en une seule fois, en plein jour, devant les autres. Désormais, c'est 20 % de cette suspension que l'on s'injecte, à cinq reprises, seul et de nuit. Même chose pour les anciennes doses d'EPO, d'hormones de croissance, de sang réinjecté : cinq fois 20 %. C'est du microdosage, indétectable dans le passeport biologique et dans les contrôles. Il représente 80 % des quelques watts supplémentaires obtenus par un tricheur par rapport aux coureurs qui ne veulent pas céder. Les 20 % restants ? C'est sa confiance totale en l'efficacité de sa tricherie. (...)
En 1998, la cote de popularité de Richard Virenque, même viré du Tour avec fracas, était à 80 %. Avant le départ du Tour, au milieu d'un même concert de casseroles, je félicitais Sir Dave Brailsford, manageur de l'équipe Sky, pour le blanchiment de son leader, Christopher Froome. Il me répondait « The biggest win so far » : la plus grande victoire jusqu'à présent. Etonnant pour une simple décision administrative, alors que Froome a gagné 80 % des Tour de France depuis cinq ans. Je lui parlais de l'opinion des gens : au bord de la route, 80 % des Français ne croient pas en eux. Pragmatique, il me répondait : « 20 % do then ! » Il se satisfait du reste. (...)
La génération Y du peloton, mieux que les dirigeants maquignons sexagénaires qui la mène toujours à la baguette et sous silence depuis bien avant 1998, est passée, comme le public, de l'émotion à la lucidité critique. Elle a compris que Bradley Wiggins était un précurseur des gains marginaux, accordés notamment par l'injection de glucocorticoïdes.
Avec eux, il a tué le premier Tour 2012 « made in Sky » dès le premier rendez-vous, le col de la Planche-des-Belles-Filles, avec un record : 485 watts pendant seize minutes, dans le sillage de son coéquipier Froome. Ce dernier écrivait à son staff le soir : « Brad et moi avons tous les deux eu le sentiment que nous pouvions grimper plus vite. »
Froome a réglé 80 % de ses problèmes de santé. Il est guéri de la bilharziose et de la blastocystose, deux maladies parasitaires, de la fièvre typhoïde et de son urticaire. Mais il lui reste l'asthme.
Nous ne débattons plus de verre à moitié plein ou à moitié vide dans le cyclisme. Les 20 % de problèmes qui y subsistent engendrent 80 % des freins à la crédibilité de ce spectacle qui se voudrait un sport.
Cette page a été mise en ligne le 19/07/2018