Actualité du dopage

Des temps de passage inhumains sur les épreuves pré-Tour


04/07/2011 - lemonde.fr - Antoine Vayer

J'ai couru avec Fignon une épreuve de la Mi-Août bretonne. Le double vainqueur du Tour (...) puis commentateur vedette est mort durant l'été 2010. Cancer. Laurent était "jeune et insouciant", comme le titre son livre posthume. Le Tour est "vieux et soucieux". Il existe bien des nouveaux coureurs non insouciants qui lui servent de caution et feront avec leurs moyens du bord. Mais la Grande Boucle ne sera encore pas crédible cette année malgré ces bougres. Elle n'est pas faite pour eux. Pourquoi ? Ils vont s'agiter dans les dix derniers jours comme un insecte sur un tue-mouche. Je couvre cet événement depuis 1999 en tant que chroniqueur. Avant, j'étais l'entraîneur de l'équipe n° 1, la Festina, de 1995 à 1998, jusqu'à "l'affaire".

Je suis arrivé d'Oulu, en Finlande, avec des cardiofréquencemètres, et de Jülich, en Allemagne, avec des pédaliers jaugeant la puissance musculaire en watts. Avec des ordinateurs, du matériel informatique dit "embarqué", pour évaluer, comparer : comprendre. J'ai essentiellement compris l'insouciance et la prodigieuse efficacité du clenbutérol, de l'EPO, des hormones, des corticoïdes en termes de gain en watts et d'élimination de la fatigue. L'entraînement et la diététique ont des limites. J'ai témoigné, expertisé et fixé dans des articles trois seuils. Le premier est celui du dopage avéré de la performance. Il est situé à 410 watts de puissance pour un coureur "étalon" de 70 kilos lors du col terminal d'une étape de montagne d'un grand tour. Frédéric Portoleau, ingénieur, repère depuis trente ans, grâce aux temps de passage télévisés dans les ascensions, l'ineptie des exploits, inhumains sauf à s'aider de produits parfois vétérinaires. Ce, toute l'année, en intégrant poids, vitesse du vent, coefficients de roulement, pression atmosphérique, données de friction, aérodynamique, etc. C'est implacable. Plus fin et fiable que les faits d'indice de suspicion hématologique des coureurs de l'Union cycliste internationale (UCI) (...).

Savez-vous que sur 68 champions qui ont trusté les trois premières places des trois grands tours depuis quinze ans (France, Italie, Espagne), une dizaine n'a pas eu affaire avec le dopage ? 100 % concernés par le prisme des watts.

Nos radars de cette année, dans les épreuves majeures du calendrier pré-Tour, sont inquiétants. Sur Paris-Nice, 23 coureurs ont dépassé le seuil n° 1 des 410 watts étalon pendant 22 minutes 51 secondes dans le col de la Mure. Un indice collectif significatif de la préparation exogène d'une partie du peloton mondial au premier rendez-vous. Individuellement ensuite, sur le Critérium international, Frank Schleck s'est imposé au col de l'Ospédale (en Corse) en fin d'une étape dure en pédalant à 25,4 km/h sur une pente moyenne de 6,2 % de dénivelé, soit 445 watts pendant 33'30''.

(...)

Le seuil n° 2, c'est le dopage miraculeux à partir de 430 watts, qui rappelle les heures les plus sombres du vélo. Que dire de notre Alberto avec 418 watts de moyenne sur les quatre cols-clés du Giro (Grossglockner, Zonconlan, Gardeccia, Nevagal), tout en retenue puisqu'il a distribué les bons points ? Il est plus fort que l'an passé sur le Tour avec 20 watts en réserve. Ce sera 450 watts si on l'énerve !

Le seuil n° 3 s'applique aux "mutants". Cunego, sur le Tour de Suisse, a monté le col Grosse Scheidegg en 48'33'' et accéléré sur sa fin pendant 17'20'' (en pente de 5,5 km à 9,2 %) tout en développant 421 watts. Le Dauphiné libéré, début juin, a été plus qu'inquiétant. Dans le collet d'Allevard (11,7 km à 8,22 % de pente) en fin d'étape, on a flashé du 450 watts moyen et pas mal de coureurs bien au-dessus des seuils nos 1 et 2. Avec Wiggins et des Français. La politique d'enlever les panneaux radars comme celui de l'usage des corticoïdes est incitative. Nous placerons les nôtres à mi-course dans les ascensions du col de la Croix Saint-Robert et du Pas de Peyrol. Ils témoigneront de la tendance. Puis, dans les Pyrénées au Tourmalet, à Luz-Ardiden, au plateau de Beille. Nous avons toutes les références comparées. Enfin, les Alpes, avec, cerise sur le gâteau, la montée de Huez sanctuarisée par Pantani en 1995 en 36'50'' sur les 13,8 km à 22,48 km/h pour 465 watts étalon ! Un mythe, un mutant. Mort, aussi. Les coureurs crédibles passeront les 21 lacets de Huez avec 100 watts de moins, laminés et loin des premiers. On vouera aux gémonies quelques fraudeurs qui reviendront deux ans plus tard aussi puissants qu'avant ou mourront. Le Tour a son cancer : le dopage. Mais lui est un survivant.


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Cette page a été mise en ligne le 05/07/2011