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Racing through the dark : la deuxième chance de David Millar

03/06/2012 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski



L'instant de la rédemption

Tour de France 2010 : souffrant de douleurs aux côtes à cause de plusieurs chutes en première semaine, David Millar est largué dès les premiers kilomètres de l'étape Morzine -St Jean de Maurienne. En difficulté dans le col de la Colombière, l'étape devient vite un véritable calvaire, surtout qu'il a refusé de prendre des antalgiques. Se souvenant de son abandon en 2001, un peu plus loin dans le col de La Madeleine, il veut absolument terminer l'étape pour se prouver qu'il n'est plus le coureur dopé des années 2000, celui de l'époque Cofidis. C'est le passage obligé pour mériter la rédemption. Il avait intégré l'équipe nordiste, créée par Cyrille Guimard, en 1997, après avoir passé 2 ans au Vélo-Club St Quentin où la plus grosse difficulté était de surmonter la solitude. Le dopage était très répandu dans le plus grand club français amateur et Martial Gayant, directeur sportif, l'en tenait éloigné. Millar y côtoyait de vieux amateurs de carrière qui refusaient d'être cultivateurs, bistrotiers ou chauffeurs de taxi. Il est peut-être le dernier cycliste anglais à avoir suivi la filière classique de l'exil en France (comme Tom Simpson, Sean Yates, ou Paul Kimmage) ou en Belgique car le cyclisme n'existait pas en Angleterre ! Et les grosses équipes anglo-saxonnes (Sky, Green Edge) ou américaines post US Postal ou Discovery Channel comme HTC-HighRoad, ou Garmin ne seront créées que plus tard. L'exposition à la culture du dopage est donc encore forte pour Millar car aucune équipe n'affiche de conviction antidopage comme il en existe actuellement.

Plongé dans la jungle du dopage

Cofidis était une équipe ambitieuse qui avait engagé Lance Armstrong, champion du monde en 1993 et les ex-Motorola Bobby Julich, Kevin Livingston et Frankie Andreu. Tony Rominger et Maurizio Fondriest, tous deux en fin de carrière, font aussi partie de l'équipe. Lance Armstrong apprendra son cancer du testicule en 1996. Cela ne l'empêchera pas de se comporter en leader durant les quelques entraînements qu'il effectuera pendant sa chimiothérapie. François Migraine, PDG de Cofidis, avait vu les choses en grand et la présentation de l'équipe a lieu sur les Champs Elysées. Les français font la fête toute la nuit alors que les américains se sont vite éclipsés en prévision du stage qui débute le lendemain. Au grand étonnement de Millar, tous les pros français paraissent en forme. Il s'aperçoit que la cortisone est presque systématiquement utilisée par les français qui ne la considèrent pas comme un produit dopant. Jim van de Laer, néo-pro de Cofidis, s'est même vu fortement conseillé par l'encadrement d'en prendre dès sa première compétition chez les pros. La pression règne sur les coureurs chez Cofidis et Millar n'arrive pas à récupérer des premières compétitions. Malgré la fatigue, Guimard l'inscrit à Tirreno-Adriatico. Avant la course, il se fait lâcher lors d'un entraînement mené tambour battant dès la première côte : en fait, les pros étaient persuadés qu'en roulant vite, ils élimineraient l'EPO synthétique de leur organisme et feraient baisser l'hématocrite car la semaine italienne allait être la première compétition où l'UCI allait vérifier la limite des 50%, instaurée en 1997. Car la majorité du peloton d'alors utilise l'EPO, chacun à sa sauce personnelle. Démoralisé, Millar finit centième du prologue et toutes les étapes sont courues rapidement. Le soir, il s'aperçoit que tous les coureurs ont leur mallette de médicaments. Les injections font partie de la vie courante du cycliste et chez Cofidis, les perfusions de récupération ont lieu devant la télé. Bobby Julich lui explique que les soigneurs apportent le soir des glaçons aux coureurs pour qu'ils puissent conserver leur EPO dans des bouteilles thermos. Andreu lui révèle que l'EPO est très utilisée en Italie et qu'elle pouvait transformer une mule en cheval de course. Millar, néo-pro, commence à comprendre qu'il n'est pas si mauvais que cela, sauf qu'il n'est tout simplement pas dopé à l'EPO ! Après Tirreno-Adriatico, qu'il finit épuisé, l'équipe l'envoie courir Cholet-Pays de Loire sans lui laisser le temps de récupérer totalement ! Il contacte alors Tony Rominger et lui demande l'EPO avait changé la donne. En tant qu'agent de récupération, elle permettait d'arriver en forme plus vite. Des coureurs se présentaient à Paris-Nice qu'avec déjà 8000 km au compteur. Rominger était finalement content d'arrêter sa carrière. Déçu d'entendre la vérité de la bouche de Rominger, Millar se console en se disant qu'il n'avait pas encore atteint tout son potentiel. Pas question pour lui de retourner en Angleterre et de commencer l'étude des Arts. Son rêve, c'est le Tour de France . Son but, c'est de voir jusqu'où il peut aller à l'eau claire, comme son ami Moncoutié.

Les convictions s'effondrent

Pendant sa première année chez les pros, il abandonne toutes les courses par étapes, épuisé. A la Vuelta a Asturias, il finit par accepter pour la première fois qu'un soigneur lui injecte " une récup ", c'est-à-dire un mélange de prefolic acid (vitamine B9), d'epargriseovit (vit.B) et de ferlixit (produits italiens). Il commence alors à finir les courses par étapes et à se hisser parmi les 10 premiers aux CLM. Au Tour de l'Avenir, croyant avoir gagné le CLM, il se fait battre par Erwann Menthéour, que tout le monde savait chargé et qui viendra s'excuser auprès de Millar le lendemain.

Début 1998, ne supportant plus les américains (et Lance Armstrong qui fait son retour après sa maladie), il quitte Nice et part à Biarritz pour échapper à l'environnement du cyclisme, qu'il détestait tant à cause du dopage et de son corollaire, l'omerta ou loi du silence. Il remporte son premier contre-la-montre à l'occasion des 3 Jours de La Panne avec un hématocrite à 40,1%. Pourquoi alors avoir un taux proche des 50% comme le lui conseillait Francesco Casagrande, devenu capitaine de la Cofidis ? Il s'agissait alors d'être au plus près des 50 autorisés, avec des injections d'EPO qui devenaient également implicitement tolérées (alors qu'en fait, c'était pour ne pas pénaliser les taux naturellement élevés). Pour Millar, l'affaire Festina du Tour de France 98, dont le départ a lieu à Dublin, marque le début du grand nettoyage dans le cyclisme, et celui-ci se poursuit encore actuellement. Après que Willy Voet se soit fait arrêter à la frontière belge, certaines équipes se débarrassèrent de leurs pharmacies en jetant leurs produits par-dessus bord lors de la traversée en ferry vers la France. Des coureurs se demandaient comment ils allaient bien tenir les trois semaines sans leurs drogues ! Après le Tour de France 98, les jeunes néo-pros espéraient avoir enfin leur place dans le peloton grâce au suivi longitudinal en application l'année suivante et qui consistait en 4 tests annuels non inopinés. En fait, une anomalie dans le suivi n'apportait pas de sanction car on ne savait pas ce qu'était un profil sanguin anormal.

Le Stilnox®, drogue festive de Cofidis

Chez Cofidis, François Migraine ne jurait que par la course aux points UCI et l'équipe commençait à éveiller les soupçons. Casagrande était contrôlé positif à la testostérone en 1998. Frank Vandenbroucke avait été engagé en 1999. Philippe Gaumont et Vandenbroucke avaient des caractères compulsifs qui les poussaient à défier les doses : deux heures avant de prendre l'avion pour la Vuelta a Valenciana, Gaumont avait vidé deux bouteilles de champagne additionnées de plusieurs comprimés de Stilnox®, un somnifère auquel il était déjà dépendant. Le problème de Gaumont quand il prenait du Stilnox®, c'est qu'il voulait rester éveillé ! Son comportement devenait complètement aberrant et il partait dans des délires. Gaumont et Vandenbroucke avaient une personnalité à deux facettes ; calmes en apparence, ils pouvaient se déchaîner la nuit dans les hôtels. Lors de compétitions, il leur arrivait d'emprunter le camion de l'équipe pour aller dans le bordel le plus proche. Millar finit 4ème de la Vuelta a Valenciana et commence à être respecté par le peloton. Mais Cofidis ne relâche pas la pression sur lui : au GP de Chiasso, il finit 3ème dans la tempête de neige et s'évanouit sur la ligne d'arrivée ; deux jours après, il doit participer à une autre compétition. Une bronchite se déclare et malgré cela, Guimard et Bondue l'inscrivent à Tirreno -Adriatico. La veille de Liège-Bastogne-Liège, VDB ingurgite 11 comprimés de Stilnox® ce qui ne l'empêche pas de gagner et de grimper la côte de la Redoute sur le grand plateau, ce que Millar n'avait jamais réussi à faire, même à l'entraînement. Mais Gaumont et VDB s'étaient faits arrêter par les douanes en possession d'amphétamines et leur collaboration avec Bernard Sainz (Dr Mabuse) était découverte.

VDB était maintenant en tête du classement mondial. La veille du championnat du monde 1999 de Vérone, son hématocrite est supérieur à 50%. L'affaire est réglée avec l'injection de deux poches de plasma. En début de course, il chute et se fracture les deux poignets. Il terminera en 7ème position grâce à la cortisone et aux antalgiques. Mais il ne put descendre seul de vélo après la course. La presse qualifia sa performance d'héroïque.

L'usage du Stilnox® était courant chez Cofidis dans les soirées entre équipiers. En 1999, lors d'un stage dans les Pyrénées, Millar, qui n'était pas assez fort pour résister, finira par accepter un comprimé pour fêter un anniversaire. Mélangé à l'alcool, cet hypnotique (tout comme le Valium®) provoque des altérations profondes du jugement si l'on veut rester éveillé. Millar essaiera de rentrer dans la nuit à son hôtel, mais par une fenêtre de l'étage ! Il tomba et se fractura le talon, ce qui l'handicapera pendant une bonne partie de la saison. Cette blessure lui fera penser qu'il ne pouvait plus dorénavant battre les dopés.

Guimard, en conflit avec Migraine, quittera Cofidis en 2000. Alain Bondue le remplacera au poste de directeur sportif. Jean-Jacques Menuet reste le médecin de l'équipe. Mais seuls les points UCI restent importants et les coureurs continuent à se préparer comme ils le désirent, alors que d'autres équipes françaises (telle la FDJ de Marc Madiot) s'impliquaient déjà dans l'antidopage grâce à un engagement de leur directeur sportif. La direction de Cofidis ne jouait aucun rôle pour prévenir le dopage dans l'équipe. L'Italie et l'Espagne devenaient les endroits rêvés pour les stages de début de saison, au contraire de la France qui avait durci la législation antidopage suite à l'affaire Festina. Les coureurs français déprimaient. Seul coureur britannique engagé sur le Tour de France 2000, Millar s'empare du maillot jaune lors du prologue et le conserve 3 jours. Puis il s'effondre dans les premières étapes de montagne. Il finira 62ème au général et critiqua le parcours trop difficile en 3ème semaine qui favorisait le dopage selon lui. Après le Tour de France, Millar consomme régulièrement des hypnotiques (Stilnox® et Rohypnol®) : il a commencé à en prendre lors de la 3ème semaine du Tour de France quand il n'arrivait plus à trouver le sommeil. Il utilise aussi systématiquement les perfusions de récupération. Il s'aligne sur le contre-la-montre des JO de Sydney avec l'équipe de Grande-Bretagne et il s'aperçoit qu'il ne correspond plus du tout à la définition de l'athlète olympique tel que le conçoit le BOA (British Olympic Administration). Le milieu cycliste européen et l'équipe olympique de Grande-Bretagne sont deux mondes différents. Millar ne se dopait pas avec de l'EPO ou de la testostérone mais il était au courant de toutes les pratiques. Le maillot jaune du Tour de France lui avait permis d'être reconnu à Biarritz, surtout dans sa vie nocturne qui était pour lui aussi importante que le métier de coureur. Se sachant en porte-à-faux, cela achèvera de le précipiter vers le dopage.

Leader chez Cofidis : un stimulant qui ne lui réussit pas !

En 2001, Cofidis est la plus grande équipe française et Millar en est le capitaine. L'UCI et les directeurs sportifs font signer une charte antidopage à tous les coureurs, ce qui suffit à leur donner bonne conscience. Mais tout le monde sait que le test EPO apparu en 2000 est inefficace 3 jours après l'injection et l'EPO est donc utilisée pendant l'entraînement en toute quiétude. Il suffisait alors de couper son téléphone pour éviter un contrôle inopiné et de disparaître quelques semaines à l'étranger comme en Espagne où l'EPO est facilement disponible. Rien n'est fait pour supporter ceux qui ne se dopent pas, et qui savent combien il est facile de passer à travers les contrôles. Hors de forme depuis le mois de mai, Millar abandonne le Tour de France dans la montée de la Madeleine, ce qui est l'expérience la plus douloureuse dans la vie d'un pro. Le soir de son abandon, un membre de l'encadrement de Cofidis (Bondue ? Quilfen ? Van Londersele ?) et celui que Millar appelle l'Equipier (en fait Massimiliano Lelli) lui proposent de " se préparer correctement " pour la Vuelta. Il s'agit donc de disparaître en Italie et de faire une cure d'EPO au domicile de Lelli en Toscane. Un des responsables avait choisi le bon moment pour achever de convaincre Millar : en tant que leader de l'équipe, son abandon ne lui laisse guère le choix. Faible et vulnérable, Millar ressent l'obligation de se doper. Il avait longtemps cru pouvoir résister à la tentation du dopage et avait espéré que sa résistance inspirerait le respect des autres coureurs. Et c'était le contraire ! Il s'était trompé en pensant qu'après le Tour 98, le dopage allait disparaître. En 2001, il était plus facile de se doper que de ne pas se doper !

Lelli lui conseille donc de s'injecter 10.000 UI d'EPO par semaine (pour certains, c'était 4000 UI /j pendant 10 jours !) et d'arrêter la cure 10 jours avant la Vuelta. L'EPO est cachée dans des cannettes de Coca- Cola dans le réfrigérateur familial. Lelli se procurait l'EPO à la pharmacie du coin (qui faisait tout son chiffre d'affaires avec les cyclistes !) ou par un ami qui puisait dans le stock d'un hôpital. Il gagne le prologue mais pour lui, le goût de la victoire n'est pas le même avec l'EPO. Il s'aperçoit qu'il peut souffrir plus longtemps et qu'il récupère plus vite. Les coureurs de la Once avaient fait monter un grand plateau de 55 dents. Le peloton pouvait alors filer à 56 km/h de moyenne pendant 180 km avec un vent de face, comme dans l'étape de Zaragoza où Millar se fait piéger. Il réussira à revenir seul en roulant à plus de 60 km/h pendant 20 minutes à une fréquence de pédalage de 115 par minute. Son corps devient un objet capable d'efforts que la tête ne jugeait pas possible auparavant. Le risque est alors d'en vouloir toujours un peu plus, comme Franck Vandenbroucke. Millar finira 64ème de cette Vuelta, gêné par une allergie à une pommade anti-inflammatoire photo-sensibilisante que lui a appliqué un soigneur, et qui nécessitera une injection de cortisone. Mais l'idée de revenir à son meilleur niveau sans dopage germe déjà dans sa tête. Il s'adjoint les services du Dr Jesus Losa, médecin de l'équipe Euskaltel. Le tarif de Losa est élevé : 12.000 € par an en consultation, plus un pourcentage sur les points UCI gagnés. Il part préparer le Tour de France 2002 en altitude à Navacerrada mais au retour, à 4 semaines du départ, il est incapable de faire 70 km à vélo et doit rentrer chez lui en taxi. Il gagnera la 13ème étape à Béziers avec l'aide de Laurent Jalabert et finira 68ème au général. Pour la Vuelta 2002, il décide d'utiliser l'EPO : Losa lui établit un plan d'entraînement avec dopage intégré, le nom des produits étant codé. Malgré cela, il doit abandonner sur chute dans l'Angliru, col le plus redouté en 2002 par ses passages à 24% et ses 13% de moyenne. Le manque de résultats de ces deux dernières années s'expliquait en fait par une mononucléose infectieuse dont il avait combattu les effets par un dopage à l'EPO et que Cofidis avait été à cent lieues de déceler ! En 2003, il se devait donc d'engranger les points UCI, condition nécessaire à une augmentation de salaire. Millar décide donc de se "préparer" deux fois avec Losa, pour le Tour de France et les championnats du monde. Il s'éclipse en Espagne muni de son petit réfrigérateur pour y cacher ses ampoules d'EPO. Il gagne la Classique des

Avant les championnats du monde, Losa conseille à Millar de s'injecter les deux premières doses d'EPO en intraveineux pour qu'elle agisse et disparaisse plus vite, en associant de la testostérone et de la cortisone. Millar conserve les seringues vides d'EPO dans une poche de sa valise pour s'en débarrasser plus tard dans un endroit sûr. Il devient champion du monde du contre-la-montre en 2003 au Canada. Mais maintenant, sa lassitude du dopage est complète. Plus il se dope, plus il déteste le cyclisme. La passion du départ était devenue un travail pesant. Il ne ressent plus aucune joie à gagner de grandes compétitions en étant dopé. Il décide d'arrêter définitivement le dopage fin 2003. Il conserve en souvenir deux ampoules d'EPO vides qu'il cachera chez lui dans un livre. Il décide aussi d'arrêter les perfusions de récupération après avoir discuté avec des médecins anglais. En 2003, on savait déjà qu'elles n'étaient d'aucun recours pour accélérer la réhydratation. Son rêve est de travailler avec son ami Dave Brailsford (futur directeur sportif de Sky) qui dirige l'équipe olympique de Grande-Bretagne et d'aller aux JO 2004.

L'affaire Cofidis :

Millar apprit que Gaumont avait passé une semaine chez Lelli en Toscane et craignait que celui-ci ne révèle à Gaumont son dopage à l'EPO. Tout le peloton serait alors au courant ! Cette crainte n'allait plus le quitter. Son passé de dopé allait le rattraper. En janvier 2004, un ex-coureur de Cofidis, le polonais Marek Rutkiewicz, est arrêté à l'aéroport Charles de Gaulle en possession de produits dopants. Le soigneur de la Cofidis, Boguslaw Madejak, qui jouait le rôle d'agents pour les cyclistes polonais, est interrogé par la brigade des stupéfiants. L'affaire Cofidis démarre. Gaumont veut tremper tout le monde ; il accuse Millar de toucher à la cocaïne et Cofidis de fraude fiscale. Cofidis se retire de la compétition pour un mois et planifie des contrôles pour tous les coureurs, mais c'est trop tard. La police arrêtera Millar dans un restaurant à Biarritz en compagnie de Brailsford et sa famille. La police mettra la main sur ses deux ampoules d'EPO qu'il avait conservé dans un livre et il devra avouer son dopage. Il sera suspendu 2 ans par la fédération anglaise, mais à vie pour les JO par le BOA. Poursuivi par le fisc français, il doit vendre sa maison de Biarritz. L'affaire Cofidis lui coûte 800.000 Livres. Il décide de regagner l'Angleterre et donne une soirée d'adieu à Biarritz, qu'il appelle " Dopage dommage ". Dave Brailsford, sachant que Millar avait décidé lui-même d'arrêter le dopage et les injections de récupération, veut l'aider et lui donner une deuxième chance. Mais il s'est mis à boire et à fumer, et traîne dans les soirées mondaines, vivant aux dépens des autres. De passage à Monaco, complètement saoul, il se retrouve dans le restaurant où Eddy Merckx fête ses 60 ans en compagnie d'Armstrong. Le texan lui conseille de quitter Monaco au plus vite. En 2005, sa soeur le pousse à se remettre au vélo. Dave Brailsford l'accueille à l'Institut Anglais des Sports (EIS) où il est très mal reçu en tant qu'ancien dopé : il lui est interdit de s'entraîner sur l'anneau.

La nouvelle vie de repenti

Son but est alors de participer au Tour de France 2006. Il trouve un contrat dans la petite équipe espagnole Saunier-Duval, dirigée par Mauro Gianetti et Matxin Fernandez. Gianetti accueillait les laissés-pour-compte du cyclisme et n'avait pas de position ferme contre le dopage. Millar considérait que l'omerta ne s'appliquait plus à lui et que tout athlète contrôlé positif devait réparer les dommages occasionnés à son sport. C'était le début d'une nouvelle carrière après la suspension. Devant toute l'équipe, il affirma son rejet définitif des produits dopants et des perfusions de récupération. Sa nouvelle responsabilité était d'aider les jeunes coureurs à résister au dopage. Il se mit en rapport avec l'agence anglaise antidopage. Max Sciandri lui conseilla de rencontrer le Dr Luigi Cecchini mais il stoppa toute collaboration avec lui quand plusieurs de ses clients furent impliqués dans l'affaire Puerto. Il décida de publier ses analyses de sang 6 mois avant le Tour de France, qu'il terminera complètement épuisé à la 58ème place. Mais il gagne le contre-la-montre de la Vuelta 2006 devant Cancellara et est maintenant persuadé qu'il peut être au plus haut niveau sans aide médicale. En 2006, commencent les auditions dans l'affaire Cofidis devant la Cour de Nanterre, une des plus hautes juridictions pénales de France. Millar résume la mentalité de Cofidis devant les juges : " Des résultats, et faites ce que vous avez à faire ". Il sera acquitté mais la Cour reconnaît la culpabilité de l'entreprise. Le dopage était devenu un moyen d'atténuer la pression physique et psychologique des coureurs. Madejak est le plus lourdement sanctionné : 1 an de prison dont 9 mois avec sursis et pour les autres coureurs, les peines seront de 3 à 6 mois de prison avec sursis.

Millar rencontre Jonathan Vaughters à la présentation du Tour de France 2007, dont le départ a lieu à Londres. Vaughters ne s'était jamais intégré au cyclisme et l'avait quitté quelques années auparavant (2003) après avoir été équipier de Lance Armstrong chez US Postal. Il écrivait dans quelques magazines et venait de créer une petite équipe aux USA. Vaughters voulait maintenant créer une équipe dont la politique initiée par le directeur sportif devait permettre aux coureurs de ne pas avoir besoin de se doper et en même temps d'avoir un système de contrôles bien plus rigoureux que celui de l'UCI : l'idée d'un passeport sanguin était lancée. Pour Vaughters, les directeurs sportifs en Europe ne voulaient pas savoir ce qui se passait dans l'équipe et refusaient d'admettre qu'ils avaient le pouvoir d'agir sur le dopage dans leur équipe. Millar s'investit dans la création de l'équipe et Vaughters lui promet de l'engager en 2008 dans la future équipe Garmin Chipotle. Cela tombait bien car chez Saunier-Duval, Millar était de plus en plus isolé et l'équipe en déplacement ressemblait à un hôpital de campagne : au Tour des Flandres, un coureur de l'équipe s'était éclipsé 30 minutes avant un contrôle inopiné, le temps de se perfuser. Riccardo Ricco, 22 ans, s'injectait des perfusions dans le bus avant le départ des compétitions, " juste des antalgiques " disait-il. Millar avait essayé de raisonner Ricco, mais entre eux régnait une totale incompréhension. Gianetti n'en avait rien à faire, car les médias voyaient en Ricco le futur grand talent du cyclisme. Millar prévint l'UCI des pratiques douteuses de Saunier-Duval mais Gianetti était en très bon terme avec le Dr Mario Zorzoli, chef de la commission médicale de l'UCI... Millar demandera même à Lance Amstrong de s'investir pour nettoyer le cyclisme, le Texan lui répondra qu'il avait des choses plus intéressantes à faire. Cela scellera la fin de leur amitié. Millar s'investira encore plus dans la lutte anti-dopage et acceptera d'être le représentant des coureurs professionnels auprès de l'AMA. L'équipe Garmin obtiendra de beaux résultats sur le Tour de France avec les 4èmes place de Christian Vande Velde en 2008 et de Bradley Wiggins en 2009. Après 2 ans d'existence, Garmin est l'une des équipes les plus fortes du peloton (elle sera première au classement par équipe sur le Tour de France 2011).David Millar crée un club cycliste à Gérone, où il vit la plupart du temps et en devient le président. Il refait du vélo par passion, ne se fixe plus d'objectif, et prend la compétition comme elle vient. Il a gagné les 3 Jours de la Panne en 2009, 13 ans après sa première victoire en 1996.


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com




Cette page a été mise en ligne le 03/06/2012