Brève

Le sport professionnel peut-il se réconcilier avec l'éthique ?


21/04/2013 - cyclisme-dopage.com - Marc Kluszczynski

En 1999, un an après l'affaire Festina, Sport et Vie sortait un numéro spécial dopage (Dopage : état d'urgence, hors série n°9, mars 1999). Ce numéro se terminait par les paroles prophétiques du Pr Gérard Broyer, psychologue du sport à l'Université de Lyon : " Le dopage restant une manière de s'adapter aux contraintes du sport actuel, il ne disparaîtra pas sans repenser les structures du sport ". Pessimiste, le Pr Broyer ajoutait : " Le phénomène sportif, en tant que spectacle du sport professionnel, va s'éteindre ; j'imagine mal qu'on puisse poursuivre encore très longtemps le culte de la performance. On recrutera nos idoles dans d'autres domaines que le sport, car notre soif de sacré, elle, n'aura pas disparu ". Les enjeux de l'affaire Armstrong ne concernent ni plus ni moins que l'avenir du sport professionnel. Le cyclisme joue ici le rôle d'observatoire dans la façon dont il pourrait se débarrasser de l'emprise du dopage qui le contamine depuis plus de cent ans. Et l'éthique sportive, cette notion vieillotte chère au Baron De Coubertin, et qui n'a jamais vraiment existé, pourrait bien faire son apparition ces prochaines années. L'EPO (et Lance Armstrong) aura fait exploser le cyclisme pro et ses vingt années d'utilisation à plein régime auront envoyé le cyclisme aux enfers. Des fédérations comme l'UCI se sont aperçues trop tard que les spectateurs et les sponsors voulaient des performances crédibles de la part des champions. Ceux-ci étaient finalement les otages de la dictature du dopage instaurée avec ou malgré l'UCI (comme l'Allemagne de l'Est dans les années 70), qui lui permettait de développer le cyclisme (mondialisation) par l'intermédiaire de sociétés commerciales dirigées par les proches du président Mac Quaid ou de Hein Verbruggen. Il était temps de réagir et un tel moment ne se représentera pas. Des groupes de pression, comme CCN (Change Cycling Now) veulent donc rétablir l'égalité des chances, cette juste inégalité à la base de la popularité du sport. On pourrait d'ailleurs comparer la situation dans le cyclisme avec des évolutions sociologiques : souvent une trop grande permissivité fait suite à un retour à un comportement plus observant. Il est donc possible que le cyclisme montre l'exemple aux autres fédérations qui doivent prier actuellement qu'un scandale comme l'affaire Armstrong n'éclate pas chez elles. Aux USA, Floyd Landis (celui par qui tout est arrivé) et Travis Tygart (directeur de l'USADA) étaient réunis lors d'une conférence intitulée " Que le cyclisme tourne la page ". En compagnie du Pr Thomas Murray de l'Université de Yale, la conférence devait proposer des solutions pour que le cyclisme se débarrasse de la culture du dopage. Tygart a été ovationné par l'auditoire ; c'est dire comment Armstrong est maintenant considéré aux USA. Les procès s'accumulent contre le texan. Le Département de Justice US s'est joint à la plainte de Landis contre Armstrong, Johan Bruyneel et le financier Tom Weisel (Tailwind Sports Corporation) leur reprochant d'avoir utilisé l'argent du sponsor US Postal à des fins de dopage. La loi permet de récupérer 3 fois la somme versée par les Postes US, soit 100 millions de $

Il est maintenant évident que le cyclisme professionnel doit changer s'il veut survivre. Mais avant de garantir l'égalité des chances pour les cyclistes roulant à l'eau claire, il faudra vaincre les dernières poches de résistance du système. Pour Roger Legeay, Président du MPCC, il est incompréhensible que toutes les équipes Pro-Tour n'adhérent pas encore au Mouvement. En 2007, celui-ci comprenait 7 équipes ; à ce jour, 38 équipes (dont 11 équipes pro sur 19) y adhérent mais il y a des absentes de marque : Saxo-Tinkoff, BMC, Sky, RadioShack-Leopard, Euskaltel-Euskadi, Movistar, Cannondale et Omega Pharma QuickStep. Il est sidérant de voir que Sky est absente du Mouvement alors que Dave Brailsford prône une tolérance zéro concernant le dopage dans son équipe (même si cela ne lui avait pas empêché d'avoir le Dr Geert Leinders dans l'équipe). Cette tolérance zéro n'est peut-être pas la bonne solution : en cas de dopage passé ou présent, Sky se sépare immédiatement de la personne en cause, qu'elle soit coureur ou dans l'encadrement ; et le risque de perdre son métier ne favorise pas les confessions. Roger Legeay pense que l'éradication du dopage en cyclisme passe d'abord par la conviction antidopage du directeur sportif de l'équipe, puis des médecins. L'UCI, les directeurs sportifs et certains médecins qui avaient le feu vert pour doper ont favorisé l'extension du dopage au détriment des athlètes propres. Si l'on peut trouver des excuses au cycliste dopé, les directeurs sportifs et médecins dopeurs doivent quitter le milieu. La partie n'est vraiment pas gagnée même si l'UCI envisage maintenant de confier la lutte antidopage à un organisme indépendant. Les organisateurs de compétition ont aussi un rôle à jouer : ASO et Christian Prudhomme l'ont compris et confient les contrôles du Tour de France 2013 à l'AFLD. On peut aussi suggérer aux organisateurs des grands Tours (et d'autres importantes courses) de n'engager que des équipes appartenant au MPCC.

Mettre en place un système qui n'encourage pas le dopage est peut-être incompatible avec la commercialisation du sport. Bizarrement, Dave Brailsford reste pessimiste et ne pense pas que le dopage disparaîtra un jour du cyclisme. La Glasnost et la Perestroïka (transparence et restructuration) en 1991 en Russie avaient été un échec à cause des personnes en place. La restructuration du cyclisme nécessite la présence de personnes dotées d'une forte conviction antidopage. Et en ce sens, l'élection de David Lappartient, Président de la FFC, au poste de Président de l'Union Cycliste Européenne par 34 voix sur 46, constitue un signal fort envoyé à l'UCI (même si Lappartient se tient actuellement du côté de Mc Quaid). Mais que faire des autres ?


Marc Kluszczynski est pharmacien
Il est titulaire du diplôme universitaire de dopage de l'université de Montpellier (2006)
Il est responsable de la rubrique "Front du dopage" du magazine Sport & Vie et collabore à cyclisme-dopage.com


Autres brèves de 2013


Cette page a été mise en ligne le 21/04/2013